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Biopics masculins, biopics féminins


>> Geneviève Sellier / mercredi 24 janvier 2018

Raphaëlle Moine
Vies héroïques. Biopics masculins, biopics féminins
éditions Vrin, collection Philosophie et cinéma, 2017, 150 pages, 9,80 €


Ce qu’on désigne aujourd’hui du terme anglophone biopic (biographical picture) est un genre aussi apprécié du public que méprisé par la critique cinéphile… Ces fictions inspirées par la vie de personnes (plus ou moins) célèbres sont pourtant un sismographe de l’imaginaire collectif, et à ce titre, devraient intéresser les universitaires, historiens et critiques dont l’objet d’études est la fiction audiovisuelle…

Raphaëlle Moine qui pratique depuis longtemps les approches socioculturelles du cinéma (elle est l’autrice entre autres d’un ouvrage de référence sur les genres au cinéma), nous offre un petit livre aussi érudit qu’accessible sur le sujet et montre dans la foulée que l’approche genrée des films est indispensable pour comprendre la logique et les enjeux d’un genre comme le biopic (la démonstration serait sans doute tout aussi pertinente à propos de la plupart des genres, mais on attend les ouvrages français sur ce sujet abondamment traité par les anglo-américain·e·s).

En effet, le manque de légitimité critique en France du film biographique n’a pas empêché les cinéastes les plus prestigieux/ses ou les plus audacieux/ses de s’y illustrer, depuis Abel Gance (Napoléon, 1927), Dreyer (La Passion de Jeanne d’Arc, 1927), Mamoulian (La Reine Christine, 1933), Sternberg (L’Impératrice rouge, 1934), Eisenstein (Alexandre Newski, 1938 ; Ivan le terrible, 1946), John Ford (Young Mister Lincoln, 1939 ; Mary Stuart, ), Sacha Guitry (Deburau, 1951 ; Le Diable boiteux, 1948) jusqu’à Max Ophüls (Lola Montès, 1955), Jacques Becker (Montparnasse 19, 1958), David Lean (Lawrence d’Arabie, 1962), François Truffaut (Histoire d’Adèle H. 1975), Ariane Mnouchkine (Molière, 1978), Alain Resnais (Stavisky, 1964), Jane Campion (An Angel at my table, 1990 ; Bright Star, 2009), Agnès Merlet (Artemisia, 1997), Patrice Chéreau (La Reine Margot, 1994), Patricia Mazuy (Saint-Cyr, 2000), Sofia Coppola (Marie-Antoinette, 2006), en passant par Joseph Mankiewicz (Cléopâtre, 1963), Martin Scorsese (Raging Bull, 1980), Sydney Pollack (Out of Africa, 1985), Oliver Stone (JFK, 1991 ; Nixon, 1995), Maurice Pialat (Van Gogh, 1991)… Excusez du peu !

Mais ce qui intéresse Raphaëlle Moine, plus que de construire un panthéon, c’est de comprendre les enjeux historiques et socioculturels de ce genre qui est né avec le cinéma (The Execution of Mary Stuart est produit par Edison en 1895). Elle constate d’abord qu’il est difficile à définir, au-delà de la reconstitution (plus ou moins fidèle) de tout ou partie de la vie d’une personne célèbre, car la règle du genre est l’hybridité : selon la personne dont on raconte la vie, le biopic emprunte au western, à la comédie musicale, au mélodrame, à la comédie, au film de gangsters, au policier, au film de guerre, au péplum, etc. Ce caractère protéiforme explique sa longévité.

Tout en affichant par différents indices son authenticité, le biopic établit ses chances de succès sur la performance mimétique de l’acteur ou de l’actrice qui incarne la personne en question, autant que sur le caractère attractif des péripéties de sa vie, ce qui incite le/la scénariste à « arranger » plus ou moins la réalité historique. Pour cette raison, le genre n’a pas bonne presse auprès des historiens, d’autant plus qu’il privilégie de fait l’histoire des grand·e·s de ce monde, au contraire des courants de la recherche historique les plus légitimes aujourd’hui, dans l’héritage de l’École des Annales. Pourtant, l’ambition de ces films de réécrire le passé en fait des instruments privilégiés de la construction de l’imaginaire collectif, ce que confirme leur usage didactique. Ils (re)construisent le passé « d’une manière qui fasse sens pour le présent ». Et le choix des personnalités biographées porte bien sûr la marque des rapports de domination dans la société qui les produit : de là la proportion écrasante de films consacrés à des hommes (75%) dans la production hollywoodienne classique, expression d’une culture patriarcale qui privilégie par ailleurs les rôles féminins les plus stéréotypés : artistes de variété, courtisanes, reines, soignantes…

La partie la plus originale de l’ouvrage est l’analyse du double standard genré des films biographiques, tout d’abord à Hollywood, à tel point que l’historien américain Dennis Bingham a pu parler de deux genres filmiques différents, le biopic féminin étant dominé par le registre mélodramatique, pour mettre en scène le conflit (tragique) entre les désirs et les émotions des héroïnes et leurs fonctions, depuis la reine Christine incarnée par Garbo en 1933 jusqu’à la Marie-Antoinette de Sofia Coppola en 2006. Toutefois, émergent ces dernières années des biopics « post-féministes » marqués par l’enchevêtrement de valeurs féministes et néo-conservatrices, comme Bright Star (Jane Campion, 2009).

Raphaëlle Moine de son côté, propose l’analyse comparative de deux ensembles de films biographiques français réalisés après-guerre et dans les années 1950 : les biopics de l’immédiat après-guerre sont exclusivement dominés par des figures de « Grands hommes », dans un registre hagiographique, de Vincent de Paul (1947) au docteur Schweitzer (1952), incarné par le même acteur d’âge mûr, Pierre Fresnay. Côté féminin, c’est Martine Carol qui domine, avec des héroïnes aussi scandaleuses que séduisantes, de 1953 (Lucrèce Borgia) à 1955 (Lola Montès), en passant par Mme du Barry (1954). D’un côté un « cinéma de qualité » sérieux, de l’autre un cinéma de divertissement à visée spectaculaire. D’un côté un discours à visée nationaliste et patriarcale, d’où les femmes sont évacuées, même quand elles ont eu un rôle important dans la vie du héros, de l’autre une mise en scène des héroïnes comme des objets érotiques pour un regard voyeuriste masculin, même si elles sont aussi montrées comme des sujets en quête (vaine) d’émancipation.

Deux exemples récents de film biographique, La Môme (Dahan, 2007) et Gainsbourg (vie héroïque) (Sfar, 2010) montrent que le double standard est toujours d’actualité… Le film sur Piaf insiste sur sa dépendance aux hommes, ses addictions et l’altération dramatique de son apparence physique, alors que la vie de Gainsbourg (qui pourtant, a rencontré le même type de problèmes) est présentée comme une accumulation de succès artistiques et amoureux, et une figure de double sous forme d’une marionnette obèse, « La Gueule », incarne son libre arbitre et sa capacité de résilience. « Les hommes créent par génie personnel, les femmes accèdent à la création via la passion ou via les hommes. »

Un dernier chapitre tente un bilan du riche paysage contemporain du biopic en France, entre un cinéma patrimonial célébrant le passé sur un mode nostalgique et utilisant les mêmes stars (Depardieu et Adjani), et une volonté de désacralisation des grandes figures littéraires ou artistiques qui imprègnent la culture scolaire en France, du Molière de Laurent Thirard (2007) au Diderot de Gabriel Aghion (1999), en passant par le Racine de Véra Belmont (1997) ou de Patricia Mazuy (2000) et le Musset de Diane Kurys (1999)…

Mais dans la dernière période, le trait le plus frappant est sans doute le privilège accordé à des célébrités, ce qui témoigne de la domination de la culture médiatique en France, de Coluche (2008) et Mesrine (2009), à Yves Saint-Laurent (2014 et 2014) et Dalida (2016), en passant par Coco Chanel (2008 et 2009) et Claude François (2012).

Geneviève Sellier

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