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Xavier Dolan / 2016

Juste la fin du monde


>> Geneviève Sellier / mercredi 5 octobre 2016


Au bout de quelques dizaines de minutes de projection de ce film, je me suis dit : « Quel.le spectateur/trice peut avoir envie de voir un film qui fonctionne principalement sur la rétention d’informations et l’inconfort visuel et sonore" : usage systématique de très gros et très longs plans de visages (le plus souvent celui de Gaspard Ulliel pour lequel le cinéaste éprouve visiblement une fascination fétichiste) filmés dans une lumière « sale », impossibilité de comprendre le mouvement des personnages dans l’espace, ni les uns par rapport aux autres, mutisme quasi total du personnage principal, expression bafouillante et indigente de l’une (Marion Cotillard, la belle-sœur), hystérique de l’autre (Nathalie Baye, la mère, maquillée comme un camion, sans doute pour signifier son aliénation), intrigue minimale d’un événement qui n’aura pas lieu : on comprend par un monologue intérieur au début du film que Louis (Gaspard Ulliel), devenu un dramaturge connu, revient dans sa famille qu’il n’a pas vue depuis douze ans pour lui annoncer qu’il va mourir et il repart sans l’avoir fait (le film est adapté d’une pièce de Jean-Luc Lagarce).

Xavier Dolan semble avoir adopté jusqu’à la caricature les préceptes du « cinéma d’auteur » le plus élitiste et le plus misogyne : l’univers est opaque, donc le film doit l’être aussi, le spectateur doit se focaliser sur le destin forcément tragique du protagoniste principal, un homme artiste alter ego de l’auteur ; les femmes autour de lui sont à la fois fascinées par lui et incapables de le comprendre, soit parce qu’elles sont idiotes (la belle-sœur et la mère), soit parce qu’elles sont immatures (la sœur, Léa Seydoux). Le seul avec qui le héros tente d’établir une relation est un autre homme, son frère (Vincent Cassel) qui incarne une masculinité repoussoir (macho violent et obtus qui refuse de comprendre la subtilité de sa pensée).

Mélange de narcissisme extrême et de sadisme vis-à-vis du spectateur, ce film semble avoir pour but de confirmer la solitude forcément tragique de l’artiste dans une société où la famille (majoritairement féminine) incarne l’aliénation absolue. Il est la quintessence et la caricature du cinéma d’auteur contemporain, « film de festival » qui n’a de compte à rendre qu’à ses pairs, puisque « l’art contemporain » est à lui-même sa propre loi.


>> >> Générique

Polémiquons.

  • geneviève, bravo pour votre site. J’aime beaucoup votre analyse de juste la fin du monde, film qui m’a beaucoup agacé et beaucoup touché ( pas en même temps, tantôt une scène, tantôt l’autre, bref ce film, ce sont les montagnes russes) vous avez raison : c’est un film de festival. Mais d’après les entrées, le public a suivi.
    J’ai été, comme vous, particulièrement convaincu par le film des soeurs Coulon Voir du pays qui est un échec injuste au box-office. j’ai eu l’occasion de les rencontrer juste avant la sortie du film et il semble que leur distributeur se soit focalisé sur Divines ( qui est, à mon goût) un film détestable.
    En revanche, pour Elle, pas du tout d’accord avec votre site : pour moi c’est un grand film féministe ( dans la mesure où en tant qu’homme, je peux me permettre de juger ce qui est féministe ou pas :-). Mais ne pas être d’accord, ce n’est pas grave. Au plaisir de vous lire. erick grisel Glamour & Vanity fair

  • Je ne suis pas d’accord sur le personnage de la belle-sœur. Elle a effectivement l’air d’une greluche effacée mais s’avère finalement être la plus fine et la plus intelligente de tous. On sent qu’elle a compris quelque chose et même si on aurait certes voulu que sa fonction aille plus loin que celle du personnage-tampon, elle est la seule qui confronte réellement le héros à ce qu’il est (re)venu faire ici.
    D’un autre côté, le frère est tellement caricatural et détestable que, d’un point de vue purement émotionnel, on est assuré.e.s que les personnages qu’on apprécie dans ce film, ce sont les femmes et l’homosexuel, je ne trouve pas ça si mal, déjà ;)
    Pour le reste, c’est clair que c’est un film d’auteur extrêmement classique, sur un sujet (l’artiste maudit et tragique) vu et revu. Mais d’un point de vue féministe, il ne m’a pas choquée !

    Constance

  • La pièce n’est pas bien fameuse non plus, c’est pour cela que je ne suis pas allée voir le film. Ce que je lis de votre chronique est semblable à ce que j’ai éprouvé, un gros malaise face à des personnages caricaturaux et assez idiots, un ennui profond face au texte et si la mise en scène était très sobre, ça n’en restait pas moins pénible. Je me demande alors si le texte n’y est pas pour quelque chose car je vois mal Dolan avoir une posture ambiguë face au genre...

  • Hi hi ! j’adore : Au bout de quelques dizaines de minutes de projection de ce film, je me suis dit : « Quel.le spectateur/trice peut avoir envie de voir un film qui fonctionne principalement sur la rétention d’informations et l’inconfort visuel et sonore"
    J’avais vu la bande-annonce me suis dit que j’irai sans doute le voir, mais au moins je suis prévenue et j’irai prudente.

    Car cette chronique fait quand même écho à un malaise croissant vis-à-vis des films de Dolan, que j’ai vus (tous je crois) d’abord avec plaisir, tellement j’avais faim de films non-hétéronormatifs, avec des perso gays et lesbiens et féminins consistants, souvent charmants et drôles ; et puis des chansons qui déchirent. Jusqu’à Laurence anyways : très problématique, d’après moi. Pas seulement parce que je ne trouve pas que Melvil Poupaud soit très convaincant pour ce rôle, mais pour les choix narratifs autour de cette histoire de "transition" qui bouleverse un couple qui s’aime passionnément, mais ne s’en remet pas. Pourquoi ? Parce que Fred décide de ne pas garder leur enfant conçu avant la "transition".
    Lui se met en couple avec une fille qu’il calcule à peine, elle épouse un gars friqué qu’elle n’aime pas. Ils ne s’oublient pas, se retrouvent un temps, mais elle n’arrive pas à ne pas lui en vouloir et puis finalement, lui hurle à la figure qu’elle lui en veut d’avoir sacrifié leur histoire passionnée en ne restant pas un "chum", un homme, un vrai, un mec quoi avec un truc entre les jambes qu’il utilise. Come on !
    Du coup, même si le film donne de la valeur au perso féminin, ça montre surtout que c’est elle qui n’arrive pas à "transitionner" parce qu’elle n’aime pas l’autre dans un autre genre, et le film n’interroge pas trop ça en fait, même si c’est elle qui explique la transphobie à la serveuse dans le café ou ..... du moins son expérience à elle de la transphobie dont Laurence est la victime. La scène est puissante mais la distribution des rôles ici est cocasse.
    C’est assez problématique autant d’un point de vue trans/queer que féministe. Pas très power.

    Pour ce film-ci en l’occurrence, Cecilia dit "Je me demande alors si le texte n’y est pas pour quelque chose car je vois mal Dolan avoir une posture ambiguë face au genre..."
    Et peut-être que le texte à l’origine est problématique ... mais c’est bien ce texte que Dolan a choisi d’adapter.
    Et pourquoi Dolan ne serait-il pas " ambiguë face au genre..." ? Parce qu’il est gay ? Parce qu’il a fait de la place à des actrices chouettes qui ont de l’épaisseur et du mordant ? Parce qu’il laisse de la place à des beautés non canoniques ? Certes c’est important et appréciable, mais ce n’est pas toujours suffisant. Le personnage de la mère dans Tom a la ferme mériterait discussion aussi, car il fait quoi à part une "sorcière" digne d’un conte des frères Grimm ?
    Je dirais que c’est un peu comme Almodovar. Il a donné des films à ceux et celles qui avaient besoin et envie de représentations non hétéronormées, avec des perso féminins également mémorables. Pourtant, ça ne veut pas automatiquement dire qu’il n’a pas pu être "ambiguë" du point de vue du genre et de la question trans. La Piel que Habito est très très problématique : cauchemar d’une réassignation forcée et punitive. Aussi, le viol est présent dans à peu près tous ces films je crois, et pas toujours traité comme une violence : dans Parle avec elle, le viol redonne même la vie à sa victime ; c’est un viol salutaire ! Faut le faire, quand même ! Et puis, les femmes chez Almo sont souvent tragiques et/ou aux bord de la crise de nerfs ou au seuil de la mort, et au bout d’un moment ça devient problématique du point de vue du genre et de sa représentation.
    Bref, tout ça pour dire que non, en tant que réalisateur prolifique et souvent loué (et récompensé), Dolan n’a pas a échapper à lecture féministe.
    Cordialement.

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