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David et Stéphane Foenkinos / 2017

Jalouse


>> Ginette Vincendeau / dimanche 19 novembre 2017


Le film des frères David et Stéphane Foenkinos est certes moins fade que leur œuvre commune précédente, La Délicatesse (2011) ; il est en revanche désespérant de misogynie. Le pitch du film est dans le titre : Karin Viard interprète une prof de lycée divorcée, mère d’une ravissante fille de 18 ans dont elle est … jalouse. Elle ne s’arrête pas là et traverse le film en mode agressif vis-à-vis de son entourage – son ex-mari et sa nouvelle compagne, ses collègues, ses ami·e·s.

Peut-on imaginer un instant l’équivalent masculin, Jaloux  ? Non, bien entendu. Un film sur un binôme père-fils ferait appel au modèle du buddy movie et donc de la solidarité masculine. Mais Jalouse s’appuie lourdement sur une série de lieux communs concernant les femmes et en particulier celles qui ne sont plus toutes jeunes. Il est bien connu, n’est-ce pas, que les femmes ne peuvent qu’être rivales. Ainsi Nathalie, non contente d’empoisonner (littéralement, à un certain moment) la vie de sa fille Mathilde (Dara Tombroff), agresse régulièrement une jeune collègue (Anaïs Demoustier) et traite cruellement sa meilleure amie Sophie (Anne Dorval) et la fille de celle-ci. Elle déteste naturellement Isabelle (Marie-Julie Baup) la nouvelle compagne de son ex-mari Jean-Pierre (Thibault de Montalembert, le bel homme mûr du jour), qu’elle juge ‘plus jeune et plus conne’. Le film en rajoute une couche en faisant d’Isabelle une nunuche accro à la culture populaire et donc méprisable. Et lorsque Nathalie accepte de voir une psy, elle ne manque pas de l’insulter. Sa seule relation féminine vraiment affectueuse est avec Monique (Thérèse Roussel), une femme âgée qu’elle rencontre à la piscine, mais qui meurt subitement alors qu’on l’a à peine aperçue.

Dans l’imaginaire Foenkinos, la femme pré-ménopausée ne peut qu’être hystérique, un tissu d’anxiétés et de manque de confiance en elle-même. Nathalie a beau être au sommet de sa profession (prof de français en khâgne, adorée par des élèves surdoué·e·s et super gentil·le·s), vivre très confortablement dans un bel appartement parisien et avoir une fille magnifique qui se prépare à une carrière de danseuse étoile, son grand souci est de savoir si sa robe la boudine et son salut ne peut passer que par le désir d’un homme. Comme on est (en principe) dans un feel-good movie, c’est naturellement ce qui arrive, avec le séduisant Sébastien (Bruno Todeschini).

On m’objectera qu’il s’agit d’une comédie qui par conséquent joue avec les stéréotypes, et que les femmes, surtout d’un certain âge, sont soumises au régime impitoyable du regard sur leur physique et à l’obligation du couple et qu’il y a donc – aussi – un élément « réaliste » dans les angoisses de Nathalie. Oui, mais, beaucoup d’autres comédies ont été faites sur ce sujet ; citons entre autres aux Etats-Unis, Something’s Gotta Give (2003) et It’s Complicated (2009), et cette année en France Marie-Francine et Aurore. Ces films, même s’ils ont tendance à proposer des fins consensuelles (typiques aussi de la comédie), ont en commun d’une part d’offrir une réflexion sur le sujet et d’autre part de s’appuyer justement sur la solidarité féminine alors que Jalouse ne fait que recycler des clichés éculés sur des femmes incapables d’avoir des relations positives entre elles. Même si Nathalie et Sophie finissent par se réconcilier, nous les voyons surtout se quereller.

Reste un grand plaisir, mais aussi une grande frustration, à voir ce film : c’est Karin Viard. Plaisir, car même si on apprécie déjà le jeu brillant et nuancé de cette actrice qui peut aussi bien faire rire que pleurer, il est vrai que, comme l’ont souligné de nombreux critiques, Jalouse constitue un véritable festival Karin Viard. Elle est géniale. Frustration, car on souhaiterait que son talent cesse de légitimer de telles entreprises de dénigrement des femmes.


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