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Emmanuelle Cuau / 2017

Pris de court


>> Geneviève Sellier / samedi 8 avril 2017

avec Virginie Efira, Gilbert Melki, Marilyn Canto

Virginie Efira, qui porte le film sur ses épaules avec beaucoup de conviction, est une joaillière, mère de deux garçons, dont l’ainé, Paul, est adolescent, qui débarque à Paris du Canada après la mort de son mari, et se retrouve sans travail après que la bijouterie qui l’avait engagée s’est dédite. Après plusieurs tentatives vaines, elle accepte provisoirement d’être serveuse dans une brasserie, sans le dire à ses enfants. Nous apprendrons plus tard qu’elle a fini par retrouver du travail dans une bijouterie, sans savoir comment d’ailleurs.

Entretemps, Paul, qui se cache de sa mère dont il a découvert le « mensonge », a accepté de « rendre des services » à un camarade de classe coaché par un type très louche (Gilbert Melki) et après plusieurs « coups », il est victime d’un (faux) vol à l’arraché qui contraint sa mère à rembourser une somme astronomique.

Le problème, c’est que tout ça se passe « hors sol » : nous ne verrons rien de l’environnement scolaire des deux garçons, et pas grand chose de l’environnement professionnel de la mère : le récit se réduit aux rapports entre la mère et ses deux enfants dans leur appartement, sur un mode extrêmement allusif : elle est seule, ils sont seuls, comme si le tissu social dans lequel tout être humain est inséré et à travers lequel il se construit, n’existait pas. Le scénario est réduit à une idée abstraite et essentialiste : une mère est prête à tout pour protéger ses enfants et elle est seule pour le faire. Les rares personnages secondaires (le trafiquant, la bijoutière) n’ont aucune épaisseur puisqu’ils sont complètement instrumentalisés au service de cette thèse. La « solution » que trouve la mère pour se sortir avec ses deux fils de ce mauvais pas est d’ailleurs totalement invraisemblable, comme si on pouvait échapper à la police (et à des malfrats) en partant pour Toronto après avoir volé un collier de diamants…

Le film a pourtant été bien accueilli par la critique, qui fait référence de façon un peu abusive à Gloria, le film de Cassavetes avec Gena Rowlands, pour cette figure de mère courage. J’aurais plutôt tendance à y voir l’influence d’une tendance dominante du cinéma d’auteur.e français depuis la Nouvelle Vague, qui, dans l’héritage du romantisme, se construit sur la dénégation de la dimension sociale des individus. Où une vision étroitement individualiste de l’existence humaine rejoint les contraintes économiques du cinéma à petit budget tel que l’avance sur recettes le favorise…

Ce film reconduit en outre le lien « naturel » et exclusif entre les femmes et leurs enfants, à travers la situation (quand même très exceptionnelle) d’une « veuve ». Dans la réalité sociale, les femmes sont très souvent seules à prendre en charge, contraintes et forcées (ou pas), les enfants parce que les pères se sont barrés…

Est-ce que la responsabilité sociale des artistes (hommes et femmes) n’est pas de proposer des représentations qui mettent le doigt sur ce qui fait mal, au lieu de faire comme si les situations les plus inégalitaires étaient « naturelles » ?


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