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Kantemir Balagov / 2019

Une grande fille


>> Lora Clerc / samedi 17 août 2019


Prix de la mise en scène au festival de Cannes, « Une grande fille » (en russe dylda – grande perche) de Kantemir Balagov, bénéficie en France d’une quasi-unanimité : « Une grande fille  : attention chef-d’œuvre » ; « humanité en souffrance avec un grand sens du cadre [1] » (Le Figaro) ; « Démonstration esthétique de la toute-puissance du cinéma pour recréer un monde passé » (Paris-Match) ; « Une grande fille : la tragédie du retour à la vie » ; « Mélange de beauté irradiante et de gaucherie » (Le Monde) ; « Ce film sidérant avance à tâtons au cœur de l’âme, toujours palpitante au milieu des ruines » (La Croix) ; « Une honnêteté brutale qui transcende le mélodrame ! » (Télérama). Unanimité tempérée par une critique nuancée et fine de Libération : « Une grande fille : fiel plombé ».

Deux femmes

« Le film qu’a tourné Kantemir Balagov décrit le monde de l’après-guerre avec des yeux de femme », soutient son producteur Alexandre Rodnianski. Des yeux de femmes, mais un regard d’homme : « Je me demandais comment une personne qui doit donner la vie, par sa biologie même, reviendrait quatre à cinq ans plus tard de là où elle était entourée de mort », dit Balagov à RFI Russie, renvoyant les femmes à leur destin de mère.

Les deux femmes ont combattu ensemble dans la DCA (défense contre l’aviation). Iya (Victoria Mirochnitchenko), pâle, trop grande (« grande perche », « girafe »), trop gentille, semble encombrée d’elle-même, perpétuellement en retrait, souvent fantomatique dans sa blouse blanche d’infirmière ; il lui arrive de perdre contact soudain avec le monde environnant, les yeux dans le vague, statique. Sa parole est rare. Une blessure grave lui a valu d’être libérée du front de manière anticipée. Elle est gentille, mais souvent tétanisée, absente à tout, au point d’étouffer définitivement en l’embrassant le petit Pachka (Timofeï Glazkov), « enfant du front » que lui a confié Macha : on ne sait si elle est consciente qu’elle lui ôte la vie. Macha, l’amie de régiment (Macha=Marie - Vasilisa Perelygina), blessée par un éclat d’obus au ventre, est restée dans « l’active », bien qu’éviscérée de tout appareil reproducteur [2]. Rousse et pétillante, elle a tenu bon jusqu’au bout. Elle a pour Iya un attachement puissant : elle se fait embaucher à l’hôpital où travaille son amie, s’installe dans la chambre de l’appartement communautaire, y installe son jeune ami… Elle prend soin d’elle-même. Pour elle, revivre, c’est vivre comme avant, c’est avoir un enfant à nouveau, attendre un miracle – ou l’organiser.


Homosexuelles ? Balagov s’en défend : « Je n’avais aucune envie d’insister sur l’aspect LGBT, pour en faire un film militant. Pour moi, il s’agit de relations féminines normales en l’absence d’hommes, pendant la guerre. Il s’agit d’une histoire de solitudes et de femmes qui se nourrissent mutuellement, qui ont besoin l’une de l’autre comme deux personnes fondamentalement seules [3]. »

Portons au crédit du jeune cinéaste de vingt-sept ans une réflexion sur le féminin et le masculin : « À travers la littérature, à travers les classiques étrangers, Madame Bovary, par exemple, mon optique a changé. Je me suis rendu compte que chez toute personne, les demi-teintes et les nuances féminines et masculines sont importantes. » Une grande fille est aussi une histoire d’amitié : « Toute personne a besoin d’une autre personne, homme ou femme [4]. »

Le scénario, l’histoire

Pas très simple. Essayons de faire court !
Les deux jeunes femmes se retrouvent à Leningrad immédiatement après la guerre, après le blocus de la ville par les Allemands, particulièrement cruel et éprouvant (septembre 1941-janvier 1944). On comprend, un peu tard, que Iya a dû « aider » des soldats gravement blessés à passer de vie à trépas. Les deux amies de régiment – l’une porte ses médailles, le ruban noir et orange de Saint-Georges, l’autre pas – se retrouvent dans un Leningrad dont on apercevra les tramways, quelques décors, une neige sans éclat, des passants et des foules misérables : re-vivre ? Mais comment ?

Macha entraîne Iya vers de nouveaux plaisirs : danser ! Mais le club est fermé, les deux filles se laissent vaguement séduire par deux jeunes « nantis » disposant d’une automobile de luxe. Macha, rigolarde, viole quasiment, mais presque tendrement, le jeune Sacha (Igor Chirokov) – elle le fait passer de l’avant de la voiture à l’arrière par une prise de combat ! – tandis que Iya, de retour après une échappée laissant toute liberté à Macha de s’occuper de Sacha, fracasse tout ce qu’elle peut, visages comme voiture, par un geste de colère qui reste obscur : jalousie ? haine des hommes ? incompréhension ? sentiment d’être trahie par Macha ?

Les deux jeunes femmes vivent dans une « kommounalka », un appartement communautaire où un vieillard courtise Iya (« en grec, Iya, c’est "violette" [5] » lui dit-il). Iya travaille à l’hôpital, infirmière auprès d’un chef de service humaniste, un rien désenchanté. Un hôpital où elle laisse le petit Pachka face aux blessés qui tentent de l’amuser - quand ils peuvent bouger – en imitant des animaux. Le cochon. Le chien. Pachka n’a jamais vu de chien : ils ont tous été mangés pendant le blocus… On remarque en particulier un soldat devenu hémiplégique, Stepan (Konstantin Balakirev), que Iya, à la demande du chef de service, Nicolaï Ivanovich (Andreï Bikov), aide à mourir, d’une mort douce où l’on partage une cigarette [6], euthanasie demandée par Stepan et par son épouse, mais que refuse de pratiquer Nicolaï.

Macha se met donc en tête d’avoir l’enfant qu’elle ne peut plus avoir, et demande à Iya de le faire. Il faut trouver un homme. Ce sera Nicolaï, un homme intelligent et généreux. L’argument pour forcer Iya et l’homme providentiel à passer à l’acte est simple : Macha sait qu’il a délégué à Iya le soin d’euthanasier Stepan. Iya n’est pas consentante, mais Macha menace de la contraindre à écrire une lettre de dénonciation au NKVD (ex-KGB). Marché conclu : ils se retrouvent à trois dans un lit étroit, Macha serrée contre son amie, Iya soumise à Nicolaï.

Sacha, qui bénéficie de ressources, en particulier alimentaires, s’installe chez Iya et Macha. Macha se résout à accepter ses avances, et à se rendre chez les parents du jeune homme, des apparatchki logés dans un palais qui indique leur appartenance sociale (et politique), pour leur annoncer leur mariage. Mais elle se ravise, réalisant qu’elle n’est pas, ou plus, de ce monde « d’avant », et déclare à la mère de Sacha (Xenia Koutepova), par provocation : « oui, j’étais une épouse de campagne, je ne sais pas combien d’hommes j’ai connus », supposant que pour la mère, toutes les femmes combattantes étaient des « salopes ». Il n’est plus question de mariage. Macha s’en va retrouver Iya, rêvant à voix haute de cet enfant commun, qui sera parfait.

Ce qu’on en dit en Russie

Puisqu’il s’agit d’un film russe, allons voir ce qu’en disent les Russes. De deux points de vue : la critique professionnelle dans la presse, les avis des internautes.

Mais avant, voyons comment a été produit le film, ce qui parle aussi du film. Balagov le dit : il n’a obtenu aucune aide publique en Russie. Aucune aide, mais une diffusion sur internet sur kinopoisk.ru, (dont allocine.fr est propriétaire à hauteur de 40 %) le jour même de la sortie en salle en Russie – ce dont se félicite le producteur, Alexandre Rodnianski, Ukrainien travaillant en Russie, producteur également des films de Zviaguintsev et fin connaisseur des attentes du public occidental. Le film a obtenu de l’argent du fonds de soutien au cinéma russe de l’oligarque Roman Abramovitch, également propriétaire du Chelsea FC.

Venons-en à la perception par les Russes de ce film qui a bénéficié d’un prix à Cannes et d’une large audience sur internet et dans les salles. Quelques éléments de la réception russe sur internet :

 « Tragédie, douleur, lutte intérieure avec soi-même et le monde extérieur »
 « Propagande lesbienne discrète justifiée par les traumatismes de la guerre. Non, non, non »
« Dégoûtant, pathologique »
« Un monde après le désastre »
« Scènes choquantes et impudeur »
« Une abomination »
« Le producteur est simplement dégoûtant. Comme le reste de la culture LGBT »
« L’Occident est depuis longtemps passé de la démocratie à l’amour lesbien et à des bêtises similaires »
« Il est impossible de regarder plus de quinze minutes »
« Un film abominable et écœurant - boycott complet ! » [7]

Choqués, les Russes ! Pourquoi ?

Le film aborde de front plusieurs tabous :

1 – Montrer au cinéma la mort d’un enfant
2 – Montrer au cinéma des scènes où des femmes s’embrassent [8]
3 – Mettre en scène une « mise à mort par pitié [9] »
4 – Contrevenir à l’image héroïsée des combattants de la Grande guerre patriotique.

Trois de ces thèmes sont à même de toucher au cœur le public occidental : l’enfance maltraitée, les luttes LGBT, l’euthanasie ; le quatrième, les quelques 26 à 30 millions de morts russes, trouve chez nous peu d’échos [10].

Par contre, la GPA (gestation pour autrui), en débat ici, ne choque personne, elle est légale en Russie, pour les couples hétérosexuels et les femmes célibataires, et par jurisprudence, au nom de la non-discrimination entre les sexes, aux hommes célibataires [11]. Elle donne lieu à un juteux business. Pour les homosexuels, qui ne sont pas censés exister en Russie, la question n’est pas débattue.

Les critiques professionnels sont plus nuancés que le grand public. L’un évoque « la lumière céleste et la tendresse terrestre », l’autre s’inquiète : « la guerre en Russie ne finira jamais, mais nous devons survivre ». Les plus subtils constatent que « le retour à la paix pour les femmes n’est pas le même que pour les hommes, ces héros ». Plus factuel, un autre remarque : « Notre cinéma parle toujours de douleur, et ce film ne reste qu’une nature morte [12]. »

Un critique note que le film rate deux objectifs : celui d’être un « film de masse » compris du public - voir plus haut les tabous – et celui d’être un « film d’auteur », la dimension « artistique » lui semblant indigente. Cet échec est imputé au producteur, Alexandre Rodnianski, supposé vouloir produire – avec un certain succès – des films « pour Cannes », c’est-à-dire des films susceptibles de séduire un public « international » familier du cinéma d’auteur. « Film d’auteur », soit, mais « peu russe », commente une autre critique. Nous dirions volontiers : film d’auteur russe.

Dans Novaïa Gazeta, un article follement lyrique et distancié renvoie avec ironie le film à un contexte chrétien : « Dans le monde de la parthénogenèse, les femmes seraient le salut l’une pour l’autre, et voudraient, ensemble, s’unir dans l’amour et l’harmonie pour faire naître un garçon. Probablement le Messie. » « Syndrome d’après-guerre, âmes féminines déchirées par la guerre, disent les critiques. Mais est-ce que quelque chose a changé depuis ? ». Le quotidien s’interroge également sur la référence à l’ouvrage de Svetlana Alexiévitch, né d’un patient et remarquable travail d’entretiens avec d’anciennes soldates de l’Armée rouge, La guerre n’a pas visage de femme : « Cela reste un mystère ». L’autrice de l’article se demande quel est le rapport entre la « densité et l’horreur réelle » des récits d’Alexiévitch et les « manipulations gothiques et délirantes » du film (voir plus loin). Interrogation partagée !
La Komsomolskaïa Pravda, de son côté, va jusqu’à comparer le film à The Handmaid’s Tale… qui a horrifié le journal.

Enfin, le site kinoafisha.ru considère que « Balagov peut difficilement être qualifié de réalisateur féministe. Dans la Russie d’aujourd’hui, cela aurait semblé une insulte. » Un homme féministe est sans doute aussi surprenant qu’un cheval ailé ? Les questions soulevées par Balagov concernent « l’euthanasie, l’avortement et l’insémination artificielle, mais aussi les questions suivantes : "Pourquoi avons-nous besoin d’enfants ?" et "pourquoi avons-nous besoin de la vie ?" ».

Un style

Sensibles aux aspects formels, spectateurs comme critiques s’accordent à estimer la représentation de Leningrad éloignée de la réalité des années 40. La ville est d’ailleurs peu présente, les extérieurs rares. On reste le plus souvent dans des lieux confinés : chambre, appartement, voiture, hôpital. C’est avec soulagement, à la fin du film, qu’apparaît un paysage un peu plus large, doux et lumineux, un palais dans la neige, un ciel qui ne soit pas jaune : le confortable palais des apparatchiki.

Ils sont nombreux à s’étonner de l’usage trop lourd des couleurs rouge et verte, le rouge symbolisant la mort (mais aussi la beauté), le vert l’espérance et le renouveau. Le rouge, le vert : les deux couleurs finissent par être envahissantes ! Verte la robe dans laquelle tournoie désespérément Macha, verte la marmite où cuisent les pommes de terre, verte la serpillière de la cuisine… Et toutes les nuances du rouge, de la rouille au vermillon en passant, évidemment, par le sang : tramway, papiers peints, vêtements, blessures… La référence à Vermeer revendiquée par le cinéaste est assez surfaite, on penserait plutôt à Petrov-Vodkin [13] ! Pourquoi pas ! Le cinéaste avait initialement prévu de tourner en noir et blanc, mais est revenu sur cette intention, ne voulant pas donner au film des tonalités proches du noir et gris de Leningrad après la guerre.

Elève de Alexandre Sokourov, Balagov pousse le bouchon un peu plus loin que le maître : gros plans superflus, esthétisation à outrance. Le Figaro a raison : côté cadrage, c’est impeccable. Sans parler d’une lenteur lassante de dialogues elliptiques, censée permettre au spectateur de nourrir sa réflexion. « Je suis plus à l’aise dans le silence, j’aime vraiment le silence », dit Balagov. Mais des dialogues un peu plus explicites n’auraient en rien nui au propos.

Plus anecdotique, mais amusant, beaucoup voient dans Sacha, le jeune nanti, un portrait saisissant de Poutine jeune !

Les femmes dans, et après, la guerre

En somme, l’enthousiasme français pour Une grande fille s’accorde mal avec le regard porté par les Russes sur le film ! Reste une question probablement universelle : quid des femmes dans la guerre et après la guerre ?

Balagov souscrirait sans doute à ces réflexions de Svetlana Alexiévitch : « Parfois, je rentre chez moi après une série d’entretiens avec l’idée que la souffrance, c’est la solitude. L’isolement absolu. D’autres fois, il me semble que la souffrance est une forme particulière de connaissance. Une sorte d’information essentielle. Mais pour nous, il y a dans la souffrance quelque chose de religieux, de presque artistique. Nous sommes une civilisation à part. Une civilisation de larmes. Pourtant, là, ce n’est pas seulement l’abject qui se dévoile à nos yeux, mais aussi le sublime. En dépit de tout, l’homme tient tête. Il s’élève. Et garde sa beauté [14]. »

Les femmes russes, de 1941 à 1945, ont eu un rôle prépondérant : les hommes étant au front, à elles d’assurer la survie du pays, dans l’industrie civile et militaire, l’agriculture et la vie quotidienne. Les hommes mourant au front, elles sont appelées à s’engager, ou se proposent spontanément pour remplacer un frère ou un père. Elles sont 800 000 à avoir servi dans l’Armée rouge à titre civil ou militaire, beaucoup dans le soin aux blessés, mais aussi dans l’aviation (1 200 pilotes, mécaniciennes, radios) – les Allemands les nommaient « sorcières de la nuit ». Sorcières. Sorcières sans doute les 4 000 « snipers » (y a-t-il un féminin en français ?) formées à l’École principale de préparation des femmes snipers. Dans l’infanterie, elles sont nombreuses à avoir été chercher les blessés et les morts sur les champs de bataille. On trouvera dans les sept épisodes de la série russe « La guerre n’a pas visage de femme [15] » (1981-1984) des images terribles de ce que furent les combats du « front de l’Est ». Numériquement, elles restent toutefois à peine plus qu’une goutte d’eau dans l’armée.

Quels rapports entre hommes et femmes sur ce front ? Dans ses Carnets de Guerre, Vassili Grossmann mentionne l’existence des « épouses de campagne », probable équivalent des BMC [16] de l’armée française. Il se scandalise de l’abus de pouvoir et des abus sexuels des gradés sur les jeunes filles. L’époque et les circonstances n’étaient sans doute pas propices à une observation documentée des turpitudes très organisées que décrit par le menu, mais longtemps après, Oleg Boudnitsky dans les Cahiers du monde russe (Les hommes et les femmes dans l’Armée rouge, 1941-1945 [17]). Manque d’hommes à l’arrière, manque de femmes à l’avant. « L’accès au corps féminin est devenu une "monnaie" de guerre ». Il semble que toutes les « normes morales » aient été bousculées, voire dissoutes, coexistant avec un sentimentalisme qu’expriment les chansons écoutées et entonnées par les soldats (« Le petit foulard bleu [18] » ou la pathétique « Sombre nuit » de Marc Bernes [19]).

La guerre n’est pas jolie, on le sait. Le viol comme arme de guerre est désormais attesté, et on ne voit pas pourquoi l’Armée rouge serait en reste. Les Russes en route vers Berlin, puis occupant la ville, ont commis selon plusieurs sources 2 millions de viols en Allemagne.
Objets sexuels et combattantes, les femmes de l’Armée rouge se sont effectivement retrouvées dans une grande solitude une fois la paix revenue : elles n’intéressaient plus les hommes, trop indépendantes, trop délurées – comme Macha – ou atteintes d’un syndrome post-traumatique – comme Iya. Femmes des campagnes ou intellectuelles des centres urbains, soviétiques convaincues ou opportunistes dans un monde marqué par la destruction [20], leur histoire complète est sans doute encore à écrire. Les héroïnes sont captivantes mais elles restent l’arbre qui cache la forêt. Iya comme Macha ont fait partie des héroïnes. Mais combien de femmes, des « civiles », égorgées, poignardées, violées, brûlées ou enterrées vives, décapitées, mortes de faim, de froid, ou d’éclats d’obus, en Russie, Estonie, Lituanie, Pologne, Ukraine, Biélorussie ? Femmes des vainqueurs ou femmes des vaincus, elles ont eu à connaître, nombreuses, sinon la mort, la double peine du viol et du rejet social. Solidaires, en ce sens, sont les Berlinoises et les Russes abusées par leurs ennemis ou leurs compatriotes.

Une dimension politique ?

Il semble que le processus de production du film comporte en lui-même une dimension politique, mettant en jeu les relations culturelles et économiques entre Occident et Russie.
Mais le film manifeste aussi une dimension assez subtile en matière de politique intérieure russe. Il sort à un moment où le pouvoir russe s’attache à renforcer un sentiment national, voire nationaliste où la Grande guerre patriotique joue un rôle de premier plan. On réactive la notion de « régiment immortel », en faisant défiler, le 9 mai [21] dans les métropoles russes, des centaines de milliers de familles affichant le portrait de « leur(s) » disparus de la « VOV » (Velikaia Otietchestviennaïa Voïna – Grande guerre patriotique), défilés où l’on croise aussi bien vieux-croyants [22] que vieilles dames pleurant encore un frère, adeptes du stalinisme, simples citoyens, tous derrière les lance-missiles et les derniers « jouets » de la technologie militaire. Les enfants sont de la partie, on sort les « cantines », on joue de l’accordéon, le présent se coagule ou se congratule autour d’un passé héroïsé. La majorité des pancartes semblent « bricolées » en famille, mais d’autres ont l’air d’être fournies par les mairies. Iya et Macha nous disent peu de choses sur le passé réel et sa réécriture au présent.

Me reste le sentiment qu’avec cette « grande fille », tout le monde est perdant, floué : les Russes, parce qu’on ne peut sans dégâts offenser les sentiments intimes d’un peuple ; nous, parce qu’on nous donne des clefs qui ouvrent sur le vide de notre connaissance de nos voisins.


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[1Le Figaro{} aurait-il l’obligeance de préciser en quoi la souffrance et « le cadre » sont liés ? La souffrance bien cadrée, on supporte mieux ?

[2Dans l’Armée rouge, les femmes n’ont pas été cantonnées aux rôles d’infirmière ou de secrétaire. Artilleuses, tankistes, intégrées aux services de communication, snipers, elles remplaçaient souvent un frère, un père tombé au combat.

[4Le russe dispose de trois mots : homme au sens d’humain, femme, et homme au sens masculin.

[5Dans la symbolique russe des couleurs, le violet est la couleur de l’indifférence.

[6Précision « historique » : les cigarettes, dans le film, ont ces embouts de carton des cigarettes de guerre, dont les plus connues sont les « Biélomorkanal » - du nom du canal reliant la mer Blanche à la mer Baltique, construit par les prisonniers du goulag…

[7Commentaires sur divers sites internet

[8Des internautes s’insurgent contre le prix attribué à Cannes : « le prix du film queer ».

[9La question de la « mort par pitié » a été discutée, sans plus.

[10Union soviétique, 1941-1945, nombre de morts : 26 900 000, réévalués à environ 29 000 000, pour 34 000 000 d’hommes mobilisés – France : 567 600 morts. Allemagne : 8 680 000 ; USA : 418 500 ; Royaume-Uni : 450 900. Les morts au goulag sont évalués à environ 4 000 000.

[12« Nature morte » dans tous les sens du terme.

[13Faire une recherche d’images ! Kouzma Petrov-Vodkine, peintre soviétique, 1878-1939. Son plus célèbre tableau est « Cheval rouge au bain ».

[14La guerre n’a pas un visage de femme, Presses de la Renaissance, 2004

[15V. Dashuk et Svetlana Alexiévich - studio « Belarusfilm » - 7 épisodes : 1 - Ce n’était pas moi / 2 - Je ne voulais pas tirer / 3 - Matin dans la brume, matin gris.../ 4 - Je vous ai rencontré / 5 - Si une fille naît... / 6 - Alors je n’ai pas pleuré/ 7 - Miséricorde

[16Bordel militaire de campagne, dont l’un fonctionnait encore à Djibouti en 2003 !

[20Certaines femmes, pour sortir de l’enfer, souhaitaient avant tout être enceintes, pour être renvoyées « au civil ».

[21« Notre » 8 mai, date de la victoire contre le nazisme.

[22Orthodoxes n’ayant pas accepté les réformes de l’église orthodoxe en 1666-1667…