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Emily Atef / 2018

Trois jours à Quiberon


>> Ginette Vincendeau / lundi 25 juin 2018


Troisième long métrage de la réalisatrice franco-iranienne Emily Atef, Trois jours à Quiberon est une co-production entre la France, l’Allemagne et l’Autriche, qui retrace trois jours en avril 1981 durant lesquels l’actrice Romy Schneider, en cure de repos dans la station balnéaire bretonne, est interviewée et photographiée par deux journalistes du magazine illustré allemand Stern. La star, âgée de 42 ans, traverse une période difficile, malgré ses succès au cinéma : son premier mari Harry Meyen s’est suicidé deux ans auparavant et elle vient de divorcer de son second mari Daniel Biasini. Sur le point de tourner La Passante du Sans-Souci (qui sera son dernier film), elle se sent tiraillée entre sa carrière et ses enfants, David et Sarah, d’autant plus que David, âgé de 14 ans, ne veut plus vivre avec elle.

Primé en Allemagne où il reçoit 7 « Lolas » (équivalent des Césars), Trois jours à Quiberon sort en France auréolé de scandale. Sarah Biasini et son père s’insurgent contre ce film qui, selon eux, salit la mémoire de Schneider en la dépeignant comme dépendante aux médicaments et surtout à l’alcool. La position de la réalisatrice est ambigüe. Elle déclare avoir fait un film de fiction et non un biopic, tout en pointant comme source de légitimité l’interview publiée dans Stern et validée par la star, ainsi que les centaines de photos prises durant l’interview, auxquelles elle a eu accès, bien que la plupart n’aient jamais été publiées.

Au-delà de ces polémiques, qu’en est-il du film ? Au début, Trois jours à Quiberon séduit : Marie Bäumer évoque admirablement Schneider avec ses pommettes hautes, ses grands yeux clairs, son sourire triste et sa pointe d’accent allemand (lorsqu’elle parle français). L’esthétique sobre de l’image en noir et blanc, qui fait référence aux photos prises lors de l’interview, rappelle les grands films allemands des années 1970, notamment ceux de Wim Wenders.

Le film débute par l’arrivée à l’hôtel où réside Schneider, d’une amie de celle-ci, Hilde (Birgit Minichmayr), et des deux journalistes de Stern, l’interviewer Michael Jürgs (Robert Gwisdek) et le photographe Robert Lebeck (Charly Hübner) avec qui on comprend que Schneider a eu une liaison. Hilde entre dans la chambre de Schneider et les deux femmes semblent très proches, au point de prendre un bain ensemble. Si cette scène laisse espérer un contrepoint féminin au regard masculin des deux journalistes sur la star, on est bientôt déçue.

Hilde est rapidement mise sur la touche et le film s’organise autour des questions violemment agressives du journaliste et, en regard, de la mise-en-scène de la vulnérabilité de Schneider, relayée par le photographe, discret et sympathique mais qui néanmoins ne cesse de prendre des photos. Les questions de Michael Jürgs visent impitoyablement les points douloureux de la vie de Schneider : la réduction de la star à son rôle dans Sissi, l’amitié de sa mère avec Hitler, la « trahison » de l’Allemagne lorsque la star choisit la France, la rupture avec Alain Delon, le suicide de son premier mari, les enfants « sacrifiés » à sa carrière, les problèmes d’argent. De même il l’encourage à boire de manière éhontée et Lebeck s’arrange pour que les bouteilles et les verres soient dans le champ de ses photos.

Décrire le film ainsi pourrait suggérer qu’il s’agit d’une critique du journalisme people avant la lettre dont Stern est certainement un pionnier. Cependant, jamais on ne nous montre Schneider résister ou s’affirmer, autrement que par la fuite dans l’alcool et les somnifères, sans parler de la cigarette (signe des temps, elle s’adonne à un véritable tabagisme). S’il est fait mention du fait qu’elle est alors l’une des plus grandes stars du cinéma européen, on n’apprend rien sur ses succès ; lorsque ses finances défaillantes sont évoquées, on ne dit pas qu’elle a dû payer une fortune à son premier mari pour avoir la garde de son fils.

Trois jours à Quiberon se complait dans le spectacle d’une femme déchue et la montre complice de sa réification, confirmant ainsi les pires accusations du journaliste. Les scènes avec Hilde n’aident nullement à construire un point de vue autonome et vers la fin du film, Jürgs la discrédite en l’accusant de vivre de l’aura de sa célèbre amie – une accusation qu’elle encaisse en silence. L’odieux journaliste a le dernier mot.

Fiction ou biopic, peu importe. Le film endosse pleinement le mythe inlassablement réitéré d’une Romy Schneider belle, tragique et vulnérable (dans l’année qui suit les événements du film, elle va perdre son fils de manière atroce, subir une grave opération et mourir dans des circonstances troubles).

Le « happy end » où l’on voit la star au lit chez elle, le pied cassé, mais souriante avec sa petite fille, est lui-même teinté de cette vision a posteriori. La lenteur du film – qu’on a envie d’appeler Trois longs jours à Quiberon – et son ton lugubre construisent un quasi huis clos oppressant pendant les scènes d’interview ou de Schneider se réveillant avec la gueule de bois. La réalisatrice nous sort peu des chambres de l’hôtel, mais lorsqu’elle le fait c’est avec maladresse : une scène peu plausible de curistes se plaignant de manger diététique, une longue séquence dans un bar du port agrémentée d’un poète patibulaire (Denis Lavant, assez caricatural), des vues interminables de Schneider sautant sur les rochers pour finalement se briser le pied.

La vie et la carrière de Romy Schneider auraient pu fournir une riche matière pour disséquer les mécanismes de la célébrité, notamment la manière dont les stars féminines sont inlassablement ramenées à la sphère privée tandis que leur talent, leur ambition et leurs accomplissements sont minimisés. Plutôt que le portrait « bouleversant » de la star loué par la critique française, Trois jours à Quiberon m’est apparu comme une représentation complaisante du phénomène de la célébrité, un film qui insiste lourdement sur la fragilité de Romy Schneider et son besoin pathétique d’affection mais qui ne lui donne jamais la parole.


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