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Carlo Mirabella-Davis / 2019

Swallow


>> Geneviève Sellier / lundi 20 janvier 2020

Comment échapper à l’oppression patriarcale ?


 : « Ma grand-mère n’a pas fait un mariage heureux. Elle a été une femme au foyer dans les années 1950, ce qui n’avait rien d’épanouissant. N’ayant aucune mainmise sur rien dans sa vie, elle a développé des rituels de contrôle tels que se laver et se désinfecter les mains de manière compulsive. À tel point que mon grand-père a décidé de la faire interner. Elle y a subi, contre son gré, des séances d’électrochocs et une lobotomie qui lui ont fait perdre l’odorat et le goût. Ce traitement, au fond, n’était rien d’autre qu’une punition de la part du patriarcat à l’encontre d’une femme qui ne rentrait pas dans le moule. C’est l’idée de départ de mon film. »

Soucieux sans doute de ne pas désespérer son public, et conscient des changements intervenus depuis les années 1950, le réalisateur nous raconte une histoire à la fois plus spectaculaire et moins noire : son héroïne, jeune femme d’origine modeste, mariée à un fils de famille, ce qui lui permet de vivre dans une magnifique villa contemporaine qui surplombe un fleuve, dans la banlieue chic de New York, a l’apparence lisse d’une épouse parfaitement docile et toute dévouée à satisfaire les désirs de son mari. Mais quand elle se retrouve enceinte, elle commence à développer la maladie de Pica, qui consiste à ingérer compulsivement des objets non comestibles, en mettant son corps et donc l’enfant à venir, en danger. Quand la famille s’en aperçoit (les beaux-parents sont omniprésents), leur comportement protecteur devient carrément intrusif, jusqu’à lui imposer un colosse syrien comme dame de compagnie (!) avant de décider de la faire interner pendant les sept mois qui restent jusqu’à l’accouchement.

Dans toute cette première partie du film, l’esthétique est aussi lisse que les apparences de ce mariage. Mais l’histoire change alors de rythme, de cadre et d’esthétique.

C’est à ce moment-là en effet (attention spoiler) qu’elle décide de leur fausser compagnie, avec l’aide, tout à fait invraisemblable, de son gardien syrien et commence alors un autre film, qu’on a un peu de mal à raccorder au précédent.

Cette jeune femme, jusqu’alors totalement passive et soumise, se révèle une fugueuse déterminée, malgré le refus de sa propre mère de l’accueillir. On a appris, au cours de sa dernière visite à la psy pleine de bonne volonté imposée par la famille, (spoiler) qu’elle est née d’un viol et qu’elle garde précieusement dans son portefeuille la photo de son géniteur, qui a fait de la prison pour son forfait. Elle n’a de cesse de le retrouver : il a refait sa vie mais quand elle se fait connaître, il accepte de l’écouter et de s’excuser. Elle semble alors pouvoir faire la paix avec elle-même et décide d’avorter, façon de suggérer qu’elle rompt avec sa vie antérieure d’épouse aliénée.

La thématique féministe du film est d’actualité évidemment, même si la forme d’oppression patriarcale qui écrase l’héroïne semble davantage caractériser les Etats-Unis des années 50 que ceux d’aujourd’hui.

Ce qui est plus gênant pour la crédibilité de l’histoire, ce sont les nombreuses petites invraisemblances qu’on peut y repérer, depuis l’homme de compagnie syrien, d’abord hostile puis complice, jusqu’à la rencontre rédemptrice avec le géniteur violeur, en passant par cette fuite sans papiers ni argent… Le film souffre sans doute du fait que le réalisateur a voulu rendre à la fois actuelle et spectaculaire une histoire vraie qui était banalement tragique et caractéristique d’une autre époque.


>> générique


Polémiquons.

  • Le syrien. Il a connu la guerre, l’oppression, la fuite. Lorsque l’héroïne se cache sous le lit il la rejoint, lui pose une main sur l’épaule (geste de solidarité), lui dit avec respect "vous êtes en sécurité". Aussi j’interprète la complicité de cet homme comme le témoignage de sa révolte contre le projet d’enferment de l’héroïne.
    Le géniteur violeur. L’héroïne s’impose (physiquement et verbalement). Ce n’est plus la femme "mineure" de la première partie. Il dit j’étais Dieu au moment du viol, lors de l’incarcération j’ai pris conscience que je n’étais rien. Outre cette repentance, il la libère de la culpabilité que l’héroïne a acquise au sein de sa famille très religieuse. Le réalisateur féministe fait d’une pierre deux coups : violeur = sous homme, orthodoxie religieuse = monstruosité.
    A l’issue elle avorte seule ; c’est une femme libre, prenant son destin en main : lorsqu’elle sort des toilettes collectives pour femmes, elle existe.
    D’ailleurs le film se termine en plan fixe sur ce lieu féminin au sein duquel des femmes, de toutes morphologies et de catégories sociales, réalisent comme un ballet, un ballet d’êtres humains autonomes de sexe féminin.
    Film à voir.

  • Les "deux parties du film" sont-elles si incohérentes que vous le dites ?
    Dans la première partie du film, difficile de voir une femme "passive et soumise"... Alors que c’est plutôt une "absence" qui est montrée. La jeune femme est absente de son rôle... ce qui ne dérange guère les autres protagonistes, bien au contraire. Qu’espérer de mieux, pour ces capitalistes patriarcaux et satisfaits que cette "femme au foyer" radicalisée, c’est à dire remplissant son rôle sans encombrer l’espace de sa subjectivité ? On pense à la fois à Thérèse Desqueyroux et à nombre d’héroïnes de Fitzgerald, jeunes femmes niées sous les oripeaux de l’épouse et (future) mère. Il faut pourtant noter la clairvoyance cynique de la mère qui interroge sa belle-fille si elle est une contre-façon parfaite, ou simplement l’idiote de service ? On espère un peu que la belle endormie se réveille et assassine son époux et ses beaux-parents... Le film montre plutôt l’émergence d’un sujet dans le rituel d’ingestion-expulsion d’une multitude d’objets étrangers. Plus vite que le personnage, le spectateur perçoit qu’avec ces objets elle fait ce qu’elle a à faire par ailleurs du rejeton de son mari, qu’on lui a implanté et qu’elle a sacrément intérêt à expulser. Quand elle est dénoncée, contre toute éthique, par la psy à la solde de la famille et de l’ordre, elle s’enfuit. Elle vérifie, non sans que le film sacrifie là à un certain pathos, que ni sa mère, ni son violeur de père biologique n’avaient, ni n’ont plus aujourd’hui, la moindre raison de la faire vivre... Elle s’affranchit alors de son symptôme en faisant ce qu’elle a à faire pour survivre et vivre en sujet. Et retrouve une vie indépendante de vendeuse en grand magasin, ce qui n’était "rien" d’après ceux qui l’avait promue future mère.
    "L’homme de compagnie syrien" est-il invraisemblable ? Pas tant que cela : ce n’est pas, au départ, un "homme de compagnie", mais un maton, ou une sorte de garde-fou à domicile ... L’évolution de ce personnage est clairement filmée, le montrant d’abord arrogant depuis une expérience qu’il croit inégalable de l’oppression,puis humble et solidaire dès qu’il a compris l’exploitation et la violence abusive subie par sa prisonnière. Le maton devient codétenu, en quelque sorte, ce qui le conduit à être partenaire de l’évasion.Un cinéaste plus rose romanesque les aurait fait fuir ensemble...
    Sinon, je m’étonne moi aussi de l’ellipse qui nous laisse ignorants de comment le personnage a fait pour survivre entre sa fugue et sa consultation abortive... D’un côté, on sait que les USA d’aujourd’hui sont le paradis des petits boulots et du travail clandestin, mais de l’autre on se demande si dans la vraie vie la police, les braves gens et les services sociaux n’auraient pas su ramener la brebis engrossée à la bergerie...
    En tout cas, ce film étrange dérange... Et ce qu’il dérange le mérite.

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