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Coralie Fargeat / 2018

Revenge


>> Célia Sauvage / lundi 26 février 2018


Un an après la sortie de Grave, la réalisatrice française Coralie Fargeat présente son premier long-métrage, Revenge, comme un film « ouvertement féministe », « comme un revenge movie entre Kill Bill et Mad Max avec une forte dimension d’aventure, d’entertainment, où l’on est prise dans l’action, où l’on prend plaisir à s’approprier le message girl-power ». La presse se plaît à contextualiser le film dans le sillage du mouvement #balancetonporc et de l’affaire Harvey Weinstein. Certains journalistes n’hésitent pas à comparer les personnages masculins à « de vrais doubles de « piggy » Harvey » (voir dans la presse [1])

Malheureusement Revenge est une déclinaison conventionnelle d’un rape and revenge movie [2] dont le féminisme ne tient qu’à une inversion des stéréotypes genrés, déjà présente dans le genre.

Trois riches hommes d’affaires associés louent une villa au milieu du désert, le temps de leur week-end de chasse annuel. Richard, le playboy du trio, arrive plus tôt avec sa jeune amante américaine, Jen. La bimbo, toute en séduction, attire vite le regard des deux autres hommes. La bonne ambiance dérape. L’un des associés profite de l’absence de Richard et viole brutalement Jen. Le trio se débarrasse de la jeune femme et la jette du haut d’une falaise. Elle est laissée pour morte, empalée sur un arbre. Mais la bimbo survit et se lance dans une violente chasse à l’homme.

La violence du regard masculin

Dès l’ouverture du film, Jen est présentée à travers le filtre du regard masculin. Elle est une femme désirable pour les hommes. La beauté et l’érotisme qu’elle dégage sont centraux dans la première partie du film. Au programme : maillot de bain, string, mini short, court t-shirt moulant rose. La caméra insiste par de longs gros plans sur les fesses de la bimbo, sur ses lèvres et sa sucette en bouche, et d’autres parties de son corps lors de danses sexy ou de lap-dance improvisée. Cette réappropriation grossière du regard masculin provoque un sentiment ambigu, une impression de voir l’exact inverse de ce qu’on attendait d’un film « ouvertement féministe ». Est-ce une parodie critique du regard macho du genre ? Est-ce une façon de satisfaire le public, encore majoritairement masculin, du genre ? Ou est-ce une façon de donner raison à la bimbo qui prend elle aussi un plaisir visible à jouer avec ce regard masculin ?

Jen s’amuse de son pouvoir de séduction. Elle assume son corps et contrôle sa sexualité. Ce n’est pas tant son attitude aguicheuse qui pose problème mais le regard que les trois hommes posent sur elle. Comme l’explique Coralie Fargeat, « ce n’est pas à elle de changer, mais au regard des autres » [3]. La caricature du regard masculin se construit alors également par des contrechamps de gros plans, souvent au ralenti, sur le regard des trois hommes devant Jen. On se souvient notamment la lubricité de l’un qui attend son tour ou de l’animalité d’un autre qui mâche un ourson en guimauve. Le montage insiste également sur le parallèle entre les combats de catch diffusés à la télévision et la violence masculine à venir.

L’un des hommes franchit le pas avec Jen qui refuse poliment ses avances. Le film bascule ainsi du désir masculin à la violence masculine. Revenge évite la scène de viol explicite et voyeuriste, pourtant canon du genre. Le spectateur entend tout mais la caméra quitte rapidement la chambre. L’acte se passe hors-champ et seul le visage de la jeune femme, écrasé contre la vitre, évoque la violence du viol.

La bimbo cesse d’être un objet d’attraction. Elle perd le contrôle et devient une victime. Son amant la gifle et la traite de « petite pute » à son retour. Elle est rendue responsable d’avoir aguiché son associé. Richard se range ainsi du côté des hommes et refuse de la protéger. C’est lui-même qui la pousse ensuite par-dessus la falaise.

La métamorphose et la survie féminine

La deuxième partie du film commence lorsqu’on découvre Jen empalée sur un arbre. L’excroissance du tronc, qui lui traverse le ventre, est le symbole phallique, peu subtil, de la violence masculine. Jen doit d’abord se débarrasser de ce stigmate pour entamer le chemin vers sa survie personnelle. Au cours d’une séquence d’hallucination, la jeune femme retire violemment le pieu et cautérise la plaie avec une canette de bière mexicaine brûlante. Son ventre se retrouve alors marqué par un aigle noir, symbole toujours aussi peu subtil, de sa renaissance. Le phénix peut alors renaître de ses cendres et entamer sa métamorphose.
La victime devient une guerrière. La bimbo blonde à la plastique parfaite devient une brune terreuse au corps meurtri. Elle adapte ainsi son corps au désert hostile et perd ses artifices féminins colorés et fluo, se retrouve en culotte et brassière sombres, porte les lourdes armes de chasse des associés qu’elle tue un à un. La même inversion des attributs genrés s’opère chez les trois hommes. Ils sont dépossédés, à leur tour, de leur virilité excessive et de leur attirail de guerre : ils souffrent, ils pleurent, ils se traînent au sol.

On regrette ainsi que cette mue « ouvertement féministe » soit une inversion sommaire des identités de genre les plus stéréotypées. Revenge efface, paradoxalement, la notion de vengeance, canon du « rape and revenge ». Pourtant victime de la violence masculine, Jen cède à son tour à cette violence : la violence qu’elle doit s’infliger pour s’émasculer du pieu phallique ; puis la violence qu’elle inflige aux trois hommes. Le film recycle le mythe de la régénération par la violence sans le questionner. Contrairement aux tropes du genre, Jen ne planifie pas à l’avance une vengeance a posteriori (la réalisatrice cite par exemple les longs préparatifs de la vengeance dans Kill Bill). Elle doit réagir dans l’immédiat pour pouvoir survivre. Tuer ses agresseurs est une nécessité pour pouvoir rentrer chez elle au plus vite. Revenge n’interroge pas l’ambiguïté de la vengeance personnelle constitutive du genre. La violence est instinctive, nécessaire et dépersonnalisée. Il n’y aura pas de règlement de comptes lorsque Jen fait de nouveau face, un à un, à ses agresseurs – y compris face à son amant. On ne parle pas, on exécute sommairement.

Dépolitiser et déréaliser le féminisme

Les films de genre sont toujours des expressions de l’imaginaire collectif, et pour beaucoup l’expression de la violence refoulée de la société. Les films de science-fiction, les films de zombies, les films d’horreur proposent des variations de la représentation des différentes peurs collectives. La dimension féministe des films de genre n’a pas toujours été bien accueillie par la presse. Par exemple, Alien (Ridley Scott, 1979) a été accusé par une partie de la presse américaine d’être une propagande féministe pro-avortement. En contextualisant le film dans le sillage du mouvement #balancetonporc, et en le catégorisant comme « ouvertement féministe », la promotion et la réception de Revenge inscrit le film dans cette tradition politique [4]. Cependant le film n’est qu’une reprise d’un genre américain qui ne dit rien de la société française. Les acteurs parlent à la fois français et anglais. Le lieu choisi ressemble aux espaces désertiques américains, alors que les paysages méditerranéens français auraient donné une coloration plus nationale au film – le film est tourné dans le désert marocain. Le féminisme d’actualité annoncé se révèle être une inversion sommaire du machisme de genre.

Ce manque de complexité est aussi dû à l’absence d’ancrage réaliste du film. Le genre du « rape and revenge » est pourtant motivé par un réalisme voyeuriste et dérangeant. Par exemple, l’esthétique crue et sensationnaliste de la scène de viol dans La Dernière maison sur la gauche (Wes Craven, 1972), est filmée avec une pellicule 16 mm particulièrement graineuse et sous-exposée. Le mauvais état de l’image devient un symbole visible de l’impression de souillure qui se dégage de la scène [5]. À l’inverse, Coralie Fargeat fait le choix d’un film coloré, parodique, filtré par une multiplication de symboles qui l’éloigne toujours plus de la réalité. Les personnages eux-mêmes manquent d’humanité, de motivation, réduits à de simples archétypes : eux, sont trop beauf, trop idiots, trop égocentrés ; elle, est trop superficielle, trop aguicheuse. Tout est surface dans le film ce qui a pour effet de déréaliser le féminisme annoncé du film.

De Revenge on ne retiendra que la scène finale. Au cours d’une course poursuite chaotique et sanglante, les deux derniers survivants, Jen et Richard, se courent après durant près de 10 minutes. Richard est nu, armé d’un fusil à pompe, dernier accessoire de sa virilité bien mal en point. Le montage alterne ce chassé-croisé avec les images d’une émission de télé-achat au cours de laquelle se succèdent des femmes-objets. À ce moment précis, le film tient la promesse politique du genre : la violence policée de la société envers les femmes s’apprête à remonter à la surface. A ce moment précis, l’homme pense encore gagner le rapport de force : « Vous, les femmes, il faut toujours que vous fassiez des putains d’histoires ! » – seule véritable résonnance à l’actualité. L’homme est tué. La femme forte gagne. Mais la subversion attendue n’aura jamais lieu.

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[2Le genre du rape and revenge{} est un sous-genre des films d’exploitation. Ce cinéma, aussi appelé cinéma bis, désigne des films aux moyens réduits, de qualité jugée souvent secondaire, destinés à être rentables à peu de frais. Il se définit par un récit généralement sommaire : une femme est victime d’un viol brutal ; elle est laissée pour morte ; elle se venge violemment en tuant un à un ses agresseurs. On peut citer les pionniers du genre : La Dernière maison sur la gauche {}(Wes Craven, 1972), They Call Her One Eye{} (Bo Arne Vibenius, 1974), I Spit On Your Grave {}(Meir Zarchi, 1978).

[4Récemment, on pense à des films comme Get Out (Jordan Peel, 2017) ou encore Split (M. Night Shyamalan, 2017) dont la réception, américaine mais aussi française, a été associée à l’actualité politique américaine, notamment la société post-Obama et pro-Trump.

[5On peut rappeler également que Wes Craven fut monteur de reportages sur la guerre du Vietnam avant son premier film, La Dernière maison sur la gauche{}. Il a souvent répété que l’esthétique des images brutes des reportages a été l’une des sources premières de l’esthétique de son propre film.