pour une critique féministe des productions audiovisuelles

♀ le genre & l’écran ♂


Accueil > Archives > Année 2020 > Papicha [2]

Mounia Meddour / 2019

Papicha [2]


>> Fatima Ouassak / lundi 23 mars 2020

Mais que feraient les Algériennes de leurs fils ?


L’histoire que raconte le film Papicha réalisé par Mounia Meddour se déroule pendant la guerre civile en Algérie, qui a duré toute une décennie, du début des années 1990 jusqu’au début des années 2000.

Nedjma (Lyna Khoudri), une jeune étudiante qui vit dans une cité universitaire, veut continuer à vivre sa vie, malgré la terreur qui règne partout dans et à l’extérieur de la cité. Sa grande sœur Linda (Meriem Medjkane), qui est journaliste, est assassinée en pleine rue. Ce drame renforce encore la détermination de Nedjma à refuser l’ordre patriarcal et à s’émanciper. Avec l’aide de ses amies, des papichas, jeunes Algéroises qui aiment sortir le soir pour s’amuser, elle tente d’organiser un défilé de mode dans les locaux de la cité universitaire, malgré le risque grandissant d’être assassinée à son tour.

Le film traite de ce qu’ont vécu de nombreuses femmes algériennes lors de la guerre civile, de leurs résistances quotidiennes, grandes et petites, pour ne pas plier. Dans le film, ces femmes, les papichas, sont mises à l’honneur. Se dégage de Papicha un message qui se veut radicalement féministe. Le film conforte totalement les représentations attachées en France aux hommes algériens préjugés très violents, et l’idée que la relation entre hommes et femmes est la seule question politique digne d’intérêt en Algérie. Mais après tout, ce n’est pas parce que le propos du film correspond à ce qu’en attend le public français qu’il n’est pas pertinent, qu’il n’est pas vrai, qu’il n’est pas juste. On ne peut pas réduire un film à l’instrumentalisation politique qui pourrait en être faite.

Dès lors la vraie question est de savoir si, comme il le prétend, le film est réellement émancipateur.

Le refus de plier face à la terreur

La scène la plus saisissante du film est sans doute ce très court moment où Linda est tuée par balle en pleine rue. Mounia Meddour filme bien ce qu’est la terreur, comment elle opère. La mort est là, inattendue, sur le pas de la porte, rapide, brutale, sans pitié. Qui a tué ? Pourquoi ce meurtre ? Il n’y a pas vraiment d’explication. Un indice tout de même : la victime est journaliste et non-voilée, la tueuse porte un voile...

L’assassinat de sa sœur devrait pousser Nedjma à rester chez elle, à vivre dans la peur, à arrêter de sortir, à se voiler. Au contraire, en réponse à cette courte scène de terreur, tout le film multiplie les clins d’œil et les fous rires de Nedjma et de sa joyeuse bande de copines. Elles s’amusent, dansent, fument, tentent de vivre une vie faite d’insouciance et de joie. La cinéaste montre bien comment ces jeunes femmes résistent en continuant d’exister dans l’espace public, dans la rue, dans la nuit, malgré les interdictions de circuler, le couvre-feu, les barrages routiers et les injonctions à se couvrir. Et y exister de manière éblouissante. Dans ce contexte, sortir en boîte de nuit c’est défendre ses libertés fondamentales. Le propos est universel : les femmes veulent être libres ! De France, il est facile de s’identifier aux papichas. L’univers du film est bien installé. L’ambiance est très années 80 avec des couleurs pop et acidulées d’un « Girls want to have fun [1]  », petit short, vernis à ongles multicolore, maquillage pailleté et fluo, walkman et jean troué. Le ton est souvent léger, avec des discussions qu’on pourrait trouver dans les séries américaines pour adolescents. Les garçons ? Ils sont nuls, ils essaient de briser les relations d’amitié entre filles, ils ne valent vraiment pas le coup. Et les filles ? Elles, elles sont super, elles sont sœurs pour la vie, elles ne se laisseront plus jamais séparer par un de ces abrutis. Et on se prend dans les bras. Papicha fait l’éloge de la sororité, qu’on soit à Alger ou à Paris. On parle français, des posters de Rock Voisine décorent les chambres d’étudiantes. On y trouve aussi des drapeaux de l’Algérie. Comme pour crier : l’Algérie, c’est nous !

L’Algérie, c’est nous les femmes algériennes !

C’est en français que Nedjma clame son amour pour l’Algérie et sa volonté de ne pas la quitter. Peut-être une référence pour Mounia Meddour à la Nedjma de Kateb Yacine [2]. Le sentiment national, c’est nous !

La mère de Nedjma raconte qu’elle cachait des armes sous son haïk [3] pendant la guerre anticoloniale. Elle faisait partie des moudjahidates. La guerre de libération, c’est nous ! Nedjma et ses copines jouent au football dans la rue. One, two, three, viva l’Algérie. Même le foot, c’est nous ! « L’Algérie, c’est nous, c’est à nous », semble dire la réalisatrice. On n’a pas besoin d’eux pour vivre, on n’a pas besoin des hommes. On n’a pas besoin de se marier pour réussir sa vie.

De l’Algérie, Nedjma aime tout, le sfenj [4], la mer, les tissus délicats, le parfum des fleurs d’oranger. En Algérie, elle aime tout. Sauf les Algériens. L’Algérie, ce serait tellement bien sans les hommes algériens.

Dans le film, les hommes algériens terrorisent, harcèlent, violent et tuent. Tous les hommes du film sans exception sont des oppresseurs. Même les deux petits amis sympathiques du début du film finissent par être violents à leur tour. À part pour opprimer, les Algériens sont absents et inutiles. « L’Algérie, ce n’est pas eux, ce n’est pas à eux ! », semble en réalité vouloir dire Mounia Meddour. Plus que la valorisation des femmes en résistance, il s’agit d’une mise en scène de la rupture radicale avec les hommes. La réalisatrice s’est arrangée pour qu’il n’y ait ni maris, ni frères, ni pères, ni fils. Nedjma vit avec sa sœur et sa mère. À l’université, on ne voit jamais d’étudiants. C’est bien pratique, ça permet de faire en sorte dans le film qu’aucun garçon ou homme algérien ne soit victime, lui aussi, des années de plomb. Mais combien de garçons et d’hommes parmi les millions de personnes tuées, disparues, torturées, déplacées, exilées pendant cette décennie ? Les femmes ont-elles été les seules victimes de cette guerre ? Le film révise l’histoire en laissant penser qu’il s’agit d’une guerre de tous les hommes algériens contre les femmes algériennes « émancipées », qu’il ne s’agit que de patriarcat.

Mais ça ne correspond pas du tout à la réalité historique. Les interdictions de circuler, les barrages militaires, les « faux barrages », c’était pour tout le monde, hommes et femmes. Les violentes pressions à porter « une tenue pudique », à ne pas boire d’alcool, à ne pas sortir en boîte de nuit, c’était pour tout le monde, hommes et femmes. Beaucoup d’hommes aussi sont morts de les avoir bravées.

Le film omet de le dire.

Dès 1991 et tout au long de la décennie, plusieurs milliers d’hommes algériens ont été enfermés par l’armée au pouvoir dans des camps, notamment à Ouargla, Reggane, Aïn Salah. Y étaient enfermés des hommes exclusivement, souvent jeunes, considérés comme opposants politiques. Certains se sont retrouvés dans ces camps simplement parce qu’ils portaient une barbe trop longue et un qamis [5]. Des intellectuels, des universitaires, des artistes, des journalistes aussi, comme Linda, y ont été enfermés et torturés. Beaucoup ne sont jamais revenus de ces camps, « portés disparus ». Leurs mères les pleurent encore aujourd’hui.

Le film omet de le dire.

Pendant la « décennie noire », plus de mille personnes ont été tuées dans le village de Raïs. À Bentalha, plus de quatre cents morts. À Ammi Moussa, plus de 400 morts. À Had Chekala, plus de mille morts. La liste est longue. En tout plus de deux cent mille personnes ont été massacrées pendant la guerre civile. Des villages entiers décimés, des familles entières, hommes, femmes, enfants.

Le film omet de le dire.

L’autre élément qui s’apparente à du révisionnisme historique dans le film concerne l’ambiguïté que laisse volontairement planer Mounia Meddour sur la nature du pouvoir en place lors de la « décennie noire ». Seule la terreur islamiste est donnée à voir dans le film. Appels à la prière menaçants, affiches appelant à porter le voile sur les murs de la faculté, militant islamiste dans le bus exhortant à se voiler, barrage routier la nuit d’hommes cagoulés non clairement identifiés. On a l’impression que tout se passe dans un régime totalitaire dirigé par des islamistes. Or dans les années 1990, l’Algérie est dirigée par l’armée à la suite d’un coup d’État qu’elle a orchestré en 1992, après l’interruption du processus électoral qui aurait pu aboutir à la victoire des islamistes. La décennie voit alors s’affronter le régime militaire et les groupes islamiques armés. Pour s’y maintenir, l’armée au pouvoir a aussi, et largement, semé la terreur, torturé, massacré.

Le film omet de le dire.

Le récit des femmes algériennes « émancipées » qu’on opprime, on le connait déjà très bien en France. C’est d’ailleurs le seul récit que les Français connaissent quand on évoque la « décennie noire ». Pourquoi ne pas avoir inscrit les violences patriarcales subies par les femmes algériennes dans le contexte plus large d’une guerre civile (qui a certes fortement aggravé ces violences qui existaient déjà, mais qui ne saurait se réduire à ces violences) ? Pourquoi avoir à ce point effacé du récit les violences et les traumatismes qu’ont également subis les hommes algériens ?

L’Algérie, c’est les femmes algériennes. Mais pas celles qui portent un hijab.

Le hijab est associé tout au long du film à la terreur, en opposition au haïk qui est célébré mais seulement comme vestige du passé. Les femmes musulmanes qui portent un voile islamique ne sont pas considérées comme des femmes. Ce sont des voiles, réduites à leur voile. On a dans le film un traitement grossièrement islamophobe des personnages de femmes portant le voile. Certes Samira (Amira Hilda Douaouda), une des amies de Nedjma, n’est pas réduite à son voile. On raconte son histoire, ses aspirations, ses peines, ses joies. Mais elle porte un voile aux motifs fleuris et colorés, et elle ne le porte pas toujours. Surtout Samira a des relations sexuelles hors mariage. C’est d’ailleurs la seule de la bande d’amies à en avoir, à ce qu’on comprend. C’est comme si son voile devenait acceptable dès lors qu’elle semble en contredire la portée religieuse et politique par son comportement transgressif. C’est la seule femme qui porte un voile qui est humanisée dans le film.

Les étudiantes qui portent un voile strict et noir sont, elles, réduites à leur voile. Elles n’ont pas d’aspirations, pas d’opinions politiques, pas d’hésitations. Il s’agit simplement d’une bande de hyènes qui portent une seule expression sur le visage, la haine, qui terrorisent en meute les jeunes femmes « occidentalisées » de la cité. On les voit à plusieurs reprises débarquer dans les chambres de la cité ou interrompre les cours en amphi, mais c’est tout, on ne sait rien de ces femmes-là. Ce sont des voiles noirs ambulants, et menaçants, qui exigent qu’on ne parle pas français pendant les cours, mais arabe. Pourquoi l’arabe et pas le français ? Aucune explication, elles sont juste enragées. Ce sont des corps étrangers, des corps importés d’Iran ou d’ailleurs. En tout cas ce ne sont pas des corps de chez nous. La sororité est certes célébrée dans le film, mais elle a ses limites...

Une Algérie entre tradition et modernité...

Nedjma a l’idée d’utiliser le haïk pour son défilé de mode, symbole d’une Algérie réconciliée et fière de ses héritages. Le défilé de mode présenté à la fin du film est censé symboliser l’espoir d’identités apaisées entre passé, présent et avenir. Mais le résultat est catastrophique. Issues de haïks, les robes du défilé sont approximatives, vaguement orientales, échancrées et écourtées. C’est donc ça la « modernité » ? C’est échancrer grossièrement sur les cuisses et le décolleté un tissu « traditionnel » ? Le haïk d’hier n’est-il acceptable aujourd’hui que s’il est converti en minirobe ? Pourquoi le hijab serait-il moins l’héritier du haïk que la mini-jupe faite avec le tissu du haïk ? On coupe à grands ciseaux dans « la tradition ». Comme certains exigent de couper dans le Coran pour ne garder « que ce qui convient ».

Les identités culturelles des Africain.e.s sont-elles condamnées à être présentées au cinéma comme des gadgets et des combinaisons grotesques entre le « moderne » et le « traditionnel » ?

… et une Algérie sans Algériens

La vision politique du film se veut radicalement féministe. Samira attend un enfant d’une relation hors mariage. Elle décide de garder le bébé qu’elle élèvera seule, entourée de ses amies. Elle pense que le bébé est une fille. Elle l’appellera Linda, en mémoire de la sœur de Nedjma victime de la barbarie patriarcale. Linda renait ainsi dans les bras de femmes, uniquement de femmes.

Que fait-on de nos filles ? Le film répond plutôt bien à cette question centrale, illustrée par cette scène au hammam où Nedjma et une amie entourent Samira enceinte en lui promettant de l’aider quand le bébé naîtra. Que fait-on de nos filles ? On en fait des guerrières, des femmes qui n’ont besoin de personne pour subvenir à leurs besoins. On en fait des femmes libres. La scène du hammam traduit cette soif de transmettre la liberté de circuler où l’on veut, de s’habiller comme on veut, d’entreprendre, de travailler, de vivre dignement dans son pays.

Mais pourquoi ne voit-on des femmes arabes puissantes à l’écran que quand les hommes arabes sont eux en dessous de tout ? Pourquoi les femmes arabes ne sont des héroïnes que quand les hommes arabes sont eux des violeurs et des assassins ?

Le message est-il réellement féministe et radical quand il correspond à ce point à ce qui est attendu en France ? Diabolisation des hommes arabes, déshumanisation des femmes musulmanes portant un voile, réduction de la question sociale en Afrique du Nord aux seules relations hommes/femmes. On le sait, le cinéma français n’est pas réputé pour son féminisme, comme en témoigne la cérémonie des Césars 2020 qui, alors qu’on récompensait de la main droite le film Papicha, on récompensait de la main gauche Roman Polanski...

Et de manière plus générale, cela fait des décennies que les violences subies par les femmes qui ne portaient pas le voile en Algérie sont instrumentalisées pour justifier les violences que subissent les femmes musulmanes qui portent un voile en France.

Mais encore une fois, on ne peut pas se contenter de disqualifier un film sous prétexte qu’il est célébré parce qu’il conforte des représentations racistes et islamophobes. Il faut là-dessus être vigilantes car la question de l’instrumentalisation peut être utilisée pour faire taire les minorités opprimées, par exemple les femmes, dans les pays du Sud. Donc l’argument de l’instrumentalisation ne suffit pas.

En réalité le problème ce n’est pas l’instrumentalisation du film. Le vrai problème c’est que le film est une impasse politique totale. C’est une impasse présentée comme une perspective en termes d’émancipation pour les femmes algériennes, alors que de ce point de vue, le film ne sert à rien.

Car il ne répond pas à l’autre question centrale. Que fait-on de nos fils ? Et si l’enfant de Samira était un garçon ? Son intuition pourrait être fausse. Et si c’est un garçon, que vont-elles faire de lui ? Que fait-on de nos fils ? La chair de notre chair. Nos fils que nous portons, que nous allaitons, que nous éduquons. Nos fils que nous aimons. Les facilités du film, ici encore avec l’enfant à naitre qui est une fille, permettent de ne pas se confronter à cette question. Certes il est facile d’éliminer au cinéma les hommes algériens des champs de l’affectif et de l’amour. Les applaudissements dans les salles de cinéma en France n’en sont que plus appuyés, tant est puissante l’injonction à la rupture familiale faite aux femmes arabes : voyez ces braves Algériennes, elles seraient tellement mieux si elles rompaient définitivement avec les Arabes.

Mais que feraient les Algériennes de leurs fils ?

Le film Papicha n’est pas émancipateur, il révise l’histoire pour éluder la question-clé à laquelle nous devrions toutes répondre pour un projet politique réellement féministe : que fait-on de nos fils ? C’est la question de l’éducation et de la transmission, du rapport que pourrait entretenir la mère et le fils pour déjouer les processus de reproduction des rapports de domination. C’est plus généralement la question du pouvoir qu’ont les mères de faire société, de refaire le monde.

L’inutilité du film est encore plus flagrante au regard de ce qui se joue en Algérie aujourd’hui, juste après que le film Papicha a été tourné. C’est le glorieux hirak : les Algériens et les Algériennes se soulèvent ensemble. Mounia Meddour ne l’avait certainement pas vu venir. Les Césars qui ont récompensé le film en France ne parviennent pas à masquer ce camouflet spectaculaire donné en direct par les Algériens et Algériennes elles-mêmes. Non ce soulèvement de tout le pays ne se réduit pas à un refus de la domination patriarcale, même si de nombreuses femmes algériennes revendiquent, au sein du mouvement, l’égalité et l’émancipation. La lutte contre le patriarcat doit évidemment être en Algérie une lutte centrale. Comme en France d’ailleurs. Mais il s’agit avec le hirak de la lutte que mène le peuple algérien dans son entier, hommes et femmes, contre le pouvoir en place, pour retrouver ses libertés fondamentales, sa dignité confisquée.

Finalement, le film Papicha ne sert à rien d’autre qu’à raconter l’histoire préférée des Français dès qu’il s’agit du Maghreb : il était une fois une Arabe qu’un Arabe maltraite. Quand est-ce que les films nord-africains refuseront de se soumettre aux injonctions à la rupture familiale entre hommes et femmes qui ne sont que des impasses politiques, et proposeront au contraire une vision réellement émancipatrice ? Quand est-ce que ces films seront à la hauteur du peuple qu’ils prétendent donner à voir ?


Polémiquons.

  • magnifique analyse, merci.
    Voyant le film en salle, j’avais été saisi, bouleversé, j’étais à fond. Mais en même temps je me suis méfié, en tout cas disons que je tenais à rester vigilant, parce que le film est émotionnellement très puissant et qu’avec des émotions intenses on fait parfois passer des idées fausses ou réductrices. Nedjma est un personnage presque surhumain, un archétype de la détermination, une sorte de figure tragique condamnée à souffrir par ses attachements contradictoires à l’Algérie et à sa liberté. Le film est tout entier de son côté, et à la simplicité de son personnage (très beau personnage, c’est pas la question) répond je pense la facilité du message politique du film.

    Je suis français blanc, j’étais enfant pendant la décennie de plomb, je n’ai pas d’ami-es proches algérien-nes, c’est une histoire que je connais peu. Malgré tout j’avais été surpris que le focus soit sur la violence des islamistes, alors que dans ma tête, avec mes bribes d’histoire algérienne, c’était avant tout une lutte démocratique contre un pouvoir dictatorial qui avait tourné à la guerre civile à cause de la répression du régime...?? mais encore une fois, je me suis dis, je ne connais pas assez cette histoire, qui suis-je pour juger les choix de cette réalisatrice.

    Mais quand même la quasi totale absence de contexte historique dans le film m’a dérouté. Je soupçonnais qu’il s’agissait de donner au film les moyens d’être lu hors contexte, de transcender son ancrage historique-géographique, donc qu’il n’était pas vraiment destiné à être vu en Algérie... mais bien en France (ou dans le reste du monde me dira-t-on, mais ne soyons pas naïfs sur les chances qu’a un film algérien d’être largement diffusé au delà de la France et à la rigueur de la Belgique).

    On ne donne aucun nom de lieu, aucun nom propre, aucune date : j’avoue que en allant voir ce film, je m’attendais à un film *sur* les années de plomb et j’avais un peu la crainte d’être paumé dans le contexte et de pas tout comprendre. Bien au contraire, j’étais tout à fait à mon aise face à ce film : encore un motif d’inquiétude. Là aussi, comme vous dites ça ne suffit pas pour critiquer le film, simplement ça met la puce à l’oreille.

  • Polémiquons ….. vraiment !
    Au regard de votre engagement, Madame Fatima Ouassak, je comprends la teneur de votre tribune. Mais elle me paraît pour le moins outrancière.
    Papicha est-il un film sur la décennie noire ? Non
    Ce film ne se veut pas historique au sens où il engerberait la totalité de cette période et de ces différentes problématiques. Il s’agit d’une parcelle sociologiquement, géographiquement, temporellement située au sein de cette période (il existe de multiples films franco-français du même acabit). De plus la réalisatrice a conçu se film à partir de sa modeste expérience.
    Papicha est-il un film féministe ? Oui
    Les personnages principaux sont féminins. Ces femmes font preuve de solidarité (sororité) et de virilité (courage, mise en danger, et même assassinant ….). Ce film attire notre attention sur le fait que toute velléité d’indépendance féminine se heurte à la fois au patriarcat et à l’intégrisme religieux.
    Par construction, la gent masculine, ne peut avoir que des seconds rôles. Delà à en déduire que tous les mâles algériens sont négatifs … c’est faire fi des écrits et des paroles d’hommes issus du Maghreb qui éclairent notre raison et un avenir souhaitable sinon possible. C’est également faire fi de travaux universitaire comme ceux de Fethi Benslama (la guerre des subjectivités en islam – lignes – 2015) ou de Nadia Tazi, notamment « le genre intraitable politiques de la virilité dans le monde musulman – acte sud – 2018 » dont je retranscris une partie de la quatrième de couverture : « la présence des islamistes sur la scène internationales met au jour une question taboue dans le monde musulman : celle de la virilité. En effet, la virilité y incarne un principe politique essentiel … Elle en renvoie pas seulement au vieux problème des rapports entre les sexes, elle est aussi au fondement du despotisme politique et social qui y sévit de longue date. … ». Comme le démontre Olivia Gazalé (le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes – robert laffont – 2017) il se pourrait bien que les hommes algériens soient également les victimes de leur culture.
    Enfin pour clore ce chapitre un grand nombre d’historiennes et d’historiens ont lis en exergue l’invisibilité des femmes au cours des décennies passées. Ce type de film a le mérite de mettre en lumière leur réalité (même parcellaire).
    Papicha est-il un film adapté au public français ? Oui
    D’abord il est projeté au cours d’une période de regain féministe en France, conséquence de la pris de parole des femmes (Metoo).
    Ensuite, comme vous le soulignez à juste titre, le cinéma français ne brille pas par son engagement féministe. En clair, heureusement que des films étrangers sont accessibles en France pour diffuser l’histoire de femmes, les problématiques relatives à l’inégalité homme-femme. Il est réconfortant que le Maghreb participe à ce mouvement.
    Enfin, du fait de l’hégémonie masculine sur la production cinématographique, par une dialectique rusée, il est de bon ton de récompenser un film étranger féministe tout en énonçant un violent rappel à l’ordre au sein du système français (récompense d’un réalisateur violeur). C’est redoutable d’efficacité au regard des menaces d’employabilité de l(actrice Adèle Haenel (en autre).
    Ah, le voile ….. !
    D’abord notons que ce n’est pas l’islam qui a « inventé » le voile (Nicole Pellegrin – voiles – CNRS éditions – 2017, Bruno Nassim Aboudrar – comment le voile est devenu musulman – flammarion – 2014), que dans le monde musulman le voile rencontre des oppositions (Mona Eltahawy – foulards et hymens – belfond – 2015, Fawzia Zouari – ce voile qui déchire le France – ramsay – 2004), qu’il peut être l’expression d’une subjectivité (Carol Mann – de la burqa afghane à la hijabista mondialisée – l’harmattan – 2017, Yasmina Foehr-Janssens – voile, corps et pudeur – labor et fides – 2015, Nilüfer Göle – la visibilité disruptive de l’islam dans l’espace public européen – sens public – 2013).
    Ainsi en France, avant les musulmanes, les femmes catholiques se voyaient obliger de revêtir une coiffe (merci Saint Paul)
    Mais comme l’écrit le rabbin Delphine Horviller (comprendre le monde – fayard – 2020) les textes sacrés « sont incontestablement chargés de patriarcat et de misogynie, c’est-à-dire qu’ils mettent à distance les femmes et le féminin ». Il suffit d’écouter Culture d’Islam sur France Culture pour s’apercevoir qu’il existe différents courants interprétatifs et, que de tout temps, il y a eu des voix pour réclamer une lecture plus attentive aux faits historiques et aux évolutions de la société. Alors que la France a mis des décennies pour se détacher des contraintes religieuses à caractère sexiste, la réapparition sur le sol national du voile féminin et religieux traduit l’émergence des courants interprétatifs les plus orthodoxes et extrémistes comme le mettent en exergue les universitaires travaillant sur ces mouvements.
    Ce film Papicha ne justifie pas et ne participe pas aux récriminations à l’encontre des femmes voilées en France. La réapparition de ces contraintes vestimentaires féminines est contraire au sens de l’histoire de France et de la trop lente émergence de l’égalité homme femme. (Parallèlement sur le continent américain le droit à l’IVG est en passe d’être dissous par l’action des évangélistes soutenant des hommes de pouvoir).
    Papicha n’est pas émancipateur ?
    En quoi l’éducation des fils ne relèverait que des femmes algériennes ? Certes elles reproduisent les savoirs être et faire de leur culture. Mais sont-elles les seules responsables de leur domination ? Même en France nous savons que l’éducation des fils ne relève pas uniquement des mères (voire les travaux relatifs aux adolescents, aux réseaux numériques, etc.).
    Mais allons plus loin. Les algériennes d’Algérie qui verraient ce film ne pourraient pas y puiser des sources de leurs interrogations, de leurs engagements sociaux, politiques ou religieux ? Elles ne se sentiraient pas valorisées. Alors que des études dans différents pays mettent en exergue des points communs en matière de domination masculine et des conséquences sur les femmes, les algériennes seraient à part ?

  • J’aime votre analyse.

    J’aime les questions politiques que vous soulevez et le rappel des schémas qui contraignent nos regards ici, tout autant que les pratiques qu’ils induisent (la discrimination des femmes voilées, par exemple).

    J’aime beaucoup aussi le "démenti apporté au film par les Algériens et Algériennes", au moment même où celui-ci est récompensé par les Césars (de la main droite, main gauche).

    J’aimerais toutefois comprendre pourquoi vous parlez "d’instrumentalisation" pour quelque chose qui relève, comme votre analyse le montre il me semble, du choix de la réalisatrice de se conformer au message attendu en France : "les Algériennes sont opprimées par les Algériens." Et pas n’importe quels Algériens, pas nos alliés les militaires aux pouvoir.

    Difficile en effet de voir de l’émancipation là où est renouvelé cette vieille injonction coloniale faite aux Algériennes de quitter les Algériens pour le plus grand bénéfice du "marché" français. Un discours que nous entendons très fort, à nouveau, depuis le début des années 2000 (ère glaciaire Ni Putes...).

    L’Algérie sans les Algériens, ça me fait penser à ce documentaire de René Vautier (Déjà, le sang de mai ensemençait novembre) dans lequel kateb Yacine décrivait la manière dont Camus parlait de l’Algérie : on y trouvait tout, sauf les Algériens (au sens générique cette fois).

  • Je reviens ici un an plus tard après avoir recommandé cette critique et décidé de la relire, et je voulais rapidement féliciter Philippe pour sa réponse délicieusement condescendante et sa parfaite maîtrise de cet art bien français consistant à éluder complètement le contexte post-colonial de l’histoire franco-algérienne ainsi que la réalité de l’islamophobie en France. Juste wow.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Partager



Rechercher




Photos




[1Chanson pop de Cyndi Lauper sortie en 1983, grand succès mondial pour une chanson considérée comme un hymne féministe. Extrait : « Some boys take a beautiful girl/And hide her away from the rest of the world/I want to be the one to walk in the sun/Oh girls they want to have fun/Oh girls just want to have ».

[2Roman publié en 1956, livre phare de Kateb Yacine, considéré comme un chef d’œuvre par beaucoup en France et en Algérie. Nedjma, fille d’une Française et d’un Algérien, incarne pour Kateb Yacine, peut-être aussi pour Mounia Meddour, l’amour de l’Algérie, l’âme de l’Algérie, son histoire millénaire. Le roman est construit autour de la dualité perpétuelle, multiforme, notamment autour d’une langue : française ET typiquement algérienne, compréhensible par les Français comme par les Algériens. C’est sûrement ce qu’a tenté de faire aussi Mounia Meddour avec son film (en particulier autour de la langue "française et typiquement algérienne" parlée par "sa" Nedjma et les papichas en général).

[3Vêtement féminin (souvent blanc, parfois noir ou bleu) qui fait son apparition au Maghreb il y a plusieurs siècles ; il recouvre une grande partie du corps ; il est souvent accompagné par l’a’jar qui couvre le bas du visage. Il n’est porté aujourd’hui que par quelques femmes très âgées.

[4Beignet à base de farine ou de semoule cuit dans l’huile qu’on trouve au Maroc et en Algérie.

[5Vêtement porté par les hommes musulmans partout dans le monde, longue tunique tombant sur les chevilles ou juste au-dessus. Appelé également djellaba au Maghreb, large et ample, il est recommandé en islam de le porter notamment pour qui ne veut pas dévoiler les formes de son corps.{}