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Notes d’une spectatrice du 40e FIFF


>> Anne Andreux / lundi 2 avril 2018

Notes d’une spectatrice du 40e Festival International de Films de Femmes (Créteil, 9-18 mars 2018)

Moi qui vis dans la région parisienne depuis cinquante ans, c’est à Bruxelles, à un festival international entièrement dédié aux films réalisés par des femmes que j’ai appris l’existence du Festival International de Film de Femmes à Créteil. À Bruxelles « Elles Tournent - Dames Draaien » fêtait ses dix ans, le FIFF son 40e anniversaire !

Au bout de la ligne 8, le long du lac, la Maison des Arts de Créteil abrite le festival et met à sa disposition de très confortables salles, une de mille places, une autre de cinq cents, un espace de visionnement à la carte, un espace de consultation des archives du festival numérisées par l’INA et un forum pour les débats. Un partenariat avec le cinéma La Lucarne dans la MJC de quartier permet de se dégourdir les jambes entre deux séances ou pas. Le programme est dense, des séances se chevauchent mais les films passent deux fois pour éviter les frustrations, il y en a immanquablement ! Une navette peut nous amener d’un site à l’autre et le soir tard nous dépose à Châtelet. Tout ça pour 70 € (30 € pour les seniors) si vous prenez le pass illimité. Et on peut rencontrer et échanger avec les réalisatrices et les actrices et acteurs.

Cette année l’invitée d’honneur était Margarethe Von Trotta.

Pas une affiche dans le métro, pas un flyer et dans mon journal préféré en ligne que seules ses lectrices peuvent acheter ; si je recherche festival de film féminin je trouve festival international de Cannes, festival des droits de l’Homme, festival international du film sportif !

J’ai visionné 19 films, j’avais choisi sur une brochure bien réalisée un cocktail de courts métrages documentaires et de fiction, de longs métrages documentaires et de fiction et je me suis régalée. Une sélection exigeante et jamais ennuyeuse. En voici quelques exemples…


Les documentaires

Dans la cour de Vivianne Gauthier
Marie-Claude Fournier
Québec, 12 min

C’est le portrait d’une jeune dame de 97 ans qui a créé sa propre école de danse traditionnelle haïtienne voilà bien longtemps. Un seul critère de recrutement : le talent. Elle a choisi de n’avoir ni mari ni enfants pour vivre sa passion pleinement. Dans sa maison traditionnelle de Port-au-Prince les strates de ses souvenirs, de l’histoire d’Haïti et des portraits d’ancien·ne·s élèves devenu·e·s plus ou moins célèbres s’entremêlent dans un portrait aussi vivifiant que les pas qu’elle esquisse encore pour impulser sa cohorte de danseuses et danseurs passant devant la caméra le long du balcon de sa vieille demeure témoin d’un passé colonial.


Almost Heaven
Carol Salter
Grande Bretagne, 1 h 12

Une jeune femme chinoise de dix-sept ans contrainte à l’exode rurale trouve un travail dans une entreprise funéraire importante. Les corps arrivent par fourgon dans des cercueils ouverts et montent grâce à des élévateurs électriques aux salons funéraires où les morts seront nettoyés, habillés, maquillés avant d’être présentés à la famille. Elle a peur des fantômes, elle est dégoutée par les humeurs qui s’écoulent de ses clients, elle doit parler aux cadavres, suivant la charte de l’entreprise et les traditions chinoises, quand elle pratique des soins sur eux. Heureusement une amitié complice et amoureuse avec un autre apprenti lui permet de surmonter ses peurs, son envie de démissionner, ses erreurs et les remarques de ses responsables. La réalisatrice britannique explique qu’elle-même avait perdu ses parents et ressentait le besoin de parler de la mort mais en l’éloignant : d’où le choix de la Chine bien qu’elle ne parle pas la langue. Il en a fallu du temps pour que sa caméra apprivoise en gros plan le visage de Ying Ling, pour développer une telle complicité qu’on croirait une actrice dans une fiction, pour favoriser la complicité et le naturel de toutes les autres personnes, sans compter les autorisations gouvernementales. La mort y est filmée avec délicatesse, discrétion et une dose d’humour malgré le sujet. C’est un beau et sensible portrait de femme entre adolescence et âge adulte dont la maturité est accélérée par cette confrontation mortuaire mais jamais morbide.


El Pacto de Adriana
Lissette Orozco
Chili, 1 h 36

Lissette Orozco est étudiante et nous montre avec précision, hésitation et douleur, la progression de son enquête sur sa tante Adriana. Lissette communique par Skype avec sa tante exilée en Australie et interroge les membres de sa famille, des témoins de la période sombre du Chili et un journaliste dont la spécialité est de débusquer les anciens tortionnaires. La tante pleure en clamant son innocence et en déplorant le harcèlement dont elle est victime mais révèle entre deux larmes sa haine viscérale des communistes et son admiration pour l’intelligentsia fasciste qui savait recevoir au cours de brillants cocktails dans des maisons richement décorées auxquelles elle n’aurait jamais eu accès sans cette complicité. La caméra oscille entre l’écran d’ordinateur, les photos familiales retrouvées, le visage dubitatif de la jeune réalisatrice, les souvenirs de sa mère, les articles de presse et les entretiens. Le face à face nièce-tante est poignant. Comment rechercher la vérité tout en préservant ses souvenirs familiaux, sa mère, sa grand-mère ? Comment reconnaître son passé de tortionnaire ?

L’exilée a fait fortune et envoyait de beaux cadeaux à sa mère, sa sœur et sa nièce. La réalisatrice et sa famille sont restées dans un modeste logement et dans un pays où les études coûtent cher.

Entre le déni de l’exilée et les témoignages de plus en plus accablants, Lissette finira pas choisir son camp. Et la spectatrice que je suis reste émue devant le courage et la volonté nécessaires pour connaître la vérité.

Les fictions

Fry day, court-métrage
Laura Moss
USA, 16 min

Fry signifie grillé. Une nuit devant la prison où d’un moment à l’autre va être exécuté un serial killer, des groupes se réunissent pour suivre la mise à mort. On parle de chaise électrique et on vient fêter l’élimination d’un « monstre » devant un barbecue. Des familles entières avec des hommes satisfaits, pansus et buveurs attendent avec les chaînes de télé la baisse de tension des lampadaires annonciatrice de l’électrocution. Dans cette ambiance, une adolescente prend les gens en photos avec son appareil instantané contre 2 $. Sur son visage on lit sa désapprobation, elle n’est pas là pour le spectacle, elle vient se faire de l’argent de poche. Elle découvrira au cours de cette nuit que les jeunes hommes ne sont pas mieux que leurs aînés et fera les frais de leur cruauté sans foi ni loi. La réalisatrice alterne finement entre les gros plans du regard sensible de l’adolescente et les plans d’ensemble de familles américaines repues et alcoolisées.


Sea Monster, court-métrage
Kassandra Tomczyk et Daniel Rocque
Canada, 15 min

C’est une œuvre poétique, métaphorique et quasi muette au sujet d’un traumatisme subi par la réalisatrice qui y joue son propre rôle. Un couple dans un petit appartement, lui est plus âgé qu’elle, évolue de la chambre à la cuisine et à la salle de bains dans une relation sensuelle et complice. Un film original, inattendu, fascinant et dérangeant. Les apparitions aquatiques et gracieuses d’un calamar géant qui traverse régulièrement l’écran, une chorégraphie où bras et jambes de l’actrice et de son compagnon s’entremêlent sur un lit et s’agitent lentement dans une succession de plans superposés et légèrement floutés évoquant des tentacules amènent une touche de surréalisme. L’homme semble de plus en plus indifférent quand la scène finale révèle avec force la nature de la blessure. L’esthétique est mise ici au service d’une peine enfin surmontée. C’est un film rare et délicat.


Pin cushion
Deborah Haywood
Royaume-Uni, 1 h 25

Une adolescente, Iona, et sa mère, Lyn, arrivent dans une nouvelle ville. Quartier modeste, maison à retaper et nouveau collège les font rêver. Iona est introvertie et souhaite plus que tout se faire des amies ; Lyn est bossue et a un pied bot, elle cherche à créer des liens dans son quartier. Dans un décor rose vif et vert au milieu de nombreux bibelots inutiles et en compagnie d’un perroquet, la mère et la fille rêvent d’amour et d’amitié. Mais elles vont découvrir la cruauté d’une société qui n’accepte ni les différences physiques ni les différences de classe. Iona devient la cible de trois horribles chipies gâtées qui font la loi dans tout l’établissement et qui manient le harcèlement avec une grande perversité. Pendant ce temps la mère, à cause de son aspect physique et de sa grande gentillesse, se trouve exclue des réunions de femmes du quartier. Entre les garçons immatures, frustrés, obsédés et les romantiques inconstants dès le moindre battement de cil des petites garces, Iona fera le cruel apprentissage du premier amour.
Si la réalisatrice montre bien d’une part comment une communauté exclut et d’autre part comment une personne peut s’enfermer dans son personnage (une des chipies reconnait que si elle changeait de ville, elle ne serait pas si odieuse avec ses parents et son entourage et serait meilleure élève), la chute du film à double détente m’a laissée sur ma faim/fin car la démonstration pêche par un manque cruel de solidarité et par l’intervention d’un « deus ex-machina » comme un besoin, peu crédible, de happy end.


Alanis
Anahi Berneri
Argentine, 1 h 22

Alanis est une jeune prostituée, mère d’un garçon d’environ un an. Elle partage un appartement avec Gisela, une prostituée beaucoup plus âgée qui garde le petit quand c’est nécessaire. Toutes les deux sont indépendantes, c’est-à-dire qu’elles vivent et travaillent dans le même appartement de Buenos Aires. On découvre assez rapidement qu’en fait d’indépendance le propriétaire des lieux leur loue illégalement le logement et certainement à un bon prix ! À la suite de la dénonciation des voisins, deux policiers brutaux et forts de leur bon droit les embarquent. Gisela est arrêtée car multirécidiviste et Alanis se retrouve à la rue car le propriétaire en a profité pour les jeter dehors. Dès lors on va suivre, à travers ses rencontres, toutes les formes de prostitution qu’elle devra subir pour vivre avec son fils pendu à ses « tetas » (elle l’allaite encore par souci d’économie). Une vieille tante l’héberge quelque temps et s’occupe du petit pendant qu’Alanis tapine. Elle travaille à la sauvette en évitant les maquereaux et les bandes de prostituées violentes qui défendent leur bout de trottoir. Elle accepte tout, monnaye tout. Ils sont rares les films qui montrent sans complaisance ni jugement le dur métier de péripatéticienne. Filmer d’aussi près une mère et son enfant, ce regard plein de tendresse désabusée, ce métier aux deux extrémités de l’âge (Gisela est abimée par le métier) me semblent exemplaires. La réalisatrice a dû longtemps préparer ses prises de vue pour que l’enfant reste si naturel sans regarder la caméra. Une scène longue et mémorable avec Alanis en gros plan laissant voir derrière elle un client qui la besogne avec difficulté et a la fatuité de lui demander si elle a joui, nous ferait rire si elle n’était pas si pathétique.


Beyond dreams
Rojda Sekersoz
Suède, 1 h 30

C’est en Suède, « modèle » de démocratie, d’économie et d’égalité hommes/femmes que nous découvrons la brune Mirja à sa sortie de prison. Dès les premiers plans, dans ses échanges avec le personnel pénitentiaire, dans sa façon de marcher, on comprend vite que c’est une jeune rebelle, une fonceuse qui ne s’en laisse pas conter. Elle est attendue sur le parvis par sa petite sœur complice, affectueuse et effrontée, perchée sur des talons et maquillée à la truelle. Puis arrivent ses trois amies hautes en couleur et exubérantes. Mirja retrouve son quartier (une cité HLM comme il y en a partout), sa mère malade et un appartement négligé. Quelques gros plans, des regards échangés nous révèlent une hostilité mal contenue. La mère est malade. On la sent usée, fatiguée et dépassée. Les pères (les types nordique et méditerranéen des deux sœurs le laissent entendre) sont absents, on ne sait pas où ils sont passés, depuis quand ils ont disparu, ce n’est pas de leur histoire qu’il s’agit. Mirja découvre vite dans les papiers qui traînent que sa mère doit subir des examens médicaux et arrêter de fumer. Par plusieurs gros plans la réalisatrice montre une mère désabusée au regard bleu délavé perdue dans ses rêveries, dans l’alcool et les fumées de clopes allumées les unes derrière les autres. La petite sœur rêve de mannequinat dans des tenues peu compatibles avec son âge. Mirja se réfugie vite dehors, au pied de sa barre, réconfortée par la chaleur de sa bande. Pour survivre dans ces quartiers difficiles avec des garçons qui font n’importe quoi pour se donner l’illusion de vivre, il faut s’organiser entre filles, à quatre elles se sentent plus fortes et forment un gang, deux brunes à la peau mate, une noire, une blonde. Toutes les quatre rêvent de la mer et de soleil, Montevideo est leur graal. Elles échafaudent un cambriolage qui devrait leur rapporter de quoi exaucer leur vœu. Mais Mirja doit aussi assumer le quotidien et remplir le frigidaire pour nourrir sa famille. Elle force au culot la porte du directeur d’un grand hôtel pour obtenir un poste de plonge aux cuisines mais bien sûr il ne peut pas la déclarer et l’oblige à venir chercher chaque semaine sa paye de la main à la main, avec un commentaire flatteur sur la qualité de son travail et de son physique. Mirja lave plus vite que les autres, elle a l’ambition de progresser. Le patron, au type volontairement nordique, propre sur lui, arrogant et confiant la distingue et lui offre une belle promotion : assurer le ménage dans les chambres de luxe ! Il est trop bon ! Mais sans la déclarer ! Mirja, grâce à son apprentissage auprès d’une ancienne, se prend au jeu. Elle doit mener une double vie en cachette de ses amies, elle ne participe plus à la préparation du cambriolage, elle se cache pour travailler. Dans sa cité « bosser pour les bourgeois » est une trahison, « intégrer la norme » une compromission impardonnable. Mirja subira des déconvenues et des injustices, devra choisir et mûrir. L’alternance des scènes dans la cité et dans l’hôtel montrent avec acuité ce si beau modèle suédois où les descendants d’immigrés sont relégués dans des cités désespérantes et pourtant si riches de jeunesse, de dynamisme et de potentiel.


M
Sara Forestier
France, 1 h 38

Sara Forestier a déjà une longue carrière derrière elle. Née en 1984 elle a commencé à tourner à l’âge de treize ans, à dix-huit ans elle a reçu le César du meilleur espoir féminin pour L’Esquive et depuis elle a participé à plusieurs longs métrages, a joué au théâtre, a reçu le César de la meilleure actrice en 2011 pour Le Nom des gens (2010), a réalisé trois courts-métrages et enfin a tourné son premier long métrage en 2017 : M.
Elle raconte que son envie de réaliser remonte à L’Esquive et que c’est à partir d’une expérience amoureuse avec un homme analphabète qu’elle a eu l’idée du scénario. Elle a mis huit ans à l’écrire.
Pour l’étoffer elle a choisi de confronter un enfermement (la honte et l’exclusion provoquées par l’illettrisme) avec une autre forme de handicap, le bégaiement. Au départ elle souhaitait trouver une actrice bègue et pour cela elle a donc assisté pendant un an à travers la France à des thérapies de groupe. Elle déclare à ce sujet « je n’ai pas trouvé le bon casting mais j’ai appris en observant toutes les façons de bégayer et j’ai décidé d’assurer le rôle ».
M, c’est la rencontre de Lila, lycéenne brillante mais bègue, qui prépare l’oral de l’épreuve de français du bac et Mo, sorte d’électron libre un peu plus âgé, qui gagne sa vie en faisant des courses de voiture dangereuses et illicites dans des hangars désaffectés. M comme Mo (diminutif de Mohamed) et comme aime. Lila est mutique, elle préfère ne pas parler plutôt que de buter sur chaque syllabe malgré les encouragements bienveillants de son professeur de français. Mo est enragé de devoir cacher son handicap par une posture virile exacerbée. Petit à petit le film révèle les deux personnalités, leurs blessures enfouies et leurs familles. La sœur de Mo complice et affectueuse sert de passerelle entre lui et le reste de la société. Dans une scène amusante, la petite sœur de Lila vive et malicieuse tente d’apprendre à lire à un Mo dépassé. Que la langue française est difficile et pleine d’écueils ! Le père de Lila est joué par Jean-Pierre Léaud en restaurateur totalement dépressif et pratiquement muet. Sara Forestier interprète magnifiquement cette lycéenne qui pense tellement plus vite qu’elle ne parle. La scène où Mo explose d’une rage et d’une émotion trop longtemps contenues reste mémorable. C’est un film tendre et touchant sur l’importance de la langue pour maîtriser le jeu social et sur une relation duale équilibrée où chacun étaye l’autre pour avancer et se dépasser, servi par des comédien·ne·s irréprochables.

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