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Fabrice Gobert / Anne Berest / 2019

Mytho [arte]


>> Lise Roure / samedi 14 mars 2020



Rendez-vous manqué, les vertiges du style à la française…

Série française en 6 épisodes de 45 mn, sur Arte


Résumé (Arte) :
Transparente aux yeux des siens, une mère et épouse dévouée cède à la tentation d’un terrible mensonge pour retrouver l’attention de tous. Par le duo Anne Berest (Gabriële) et Fabrice Gobert (Les Revenants), Mytho est une comédie subversive sur la famille portée par Marina Hands et Mathieu Demy.

Si le trame est bien celle annoncée – une mère et compagne dévouée (soyons précis, les mots sont importants : qui consacre ses efforts à servir ses proches et leur rendre la vie facile et agréable aux dépens de ses propres désirs et aspirations)transparente aux yeux des siens (c’est-à-dire : sans aucune considération en retour pour sa vie, son temps, ses préoccupations et dans une accumulation de violences symboliques : son compagnon la trompe, ses enfants sont odieux, son patron passe son temps à la provoquer, la traitant de « tourte », de « belle salope », sa propre médecin – une femme – est condescendante), elle « cède à la tentation d’un terrible mensonge pour retrouver l’attention de tous » (profitant plutôt d’un malentendu à l’annonce des résultats médicaux de grosseurs sous le sein), les choix de fond en terme de scenario et de réalisation s’en éloignent assez franchement, tant la série manifeste peu d’empathie pour son héroïne ou plutôt devrions nous dire pour « son personnage secondaire », dixit le réalisateur Fabrice Gobert. « Quand on a commencé à travailler avec Marina, elle était étonnée et me disait qu’elle comprenait bien le personnage, qu’elle voyait bien vers quoi elle allait mais qu’elle ne savait pas quoi jouer dans les premières scènes. Et je lui disais que c’était normal car elle était un personnage secondaire. Et c’est l’histoire de ça. L’histoire d’un personnage secondaire qui veut devenir, redevenir la star de sa vie. [1] » Formulé avec un sourire dénotant un certain mépris, on comprend malheureusement que la crise existentielle de cette femme ne sera pas prise au sérieux.

On pourrait même s’arrêter là, tant la série offre peu de plaisirs aux spectateur·rices : un scénario peu fouillé, étiré, mou, qui a pourtant nécessité 3 ans de travail, des épisodes qui trainent en longueur, un montage et habillage sonore et musical assez pauvres (une musique originale « décalée » utilisée de manière très sporadique sans véritable cohérence ; l’arrivée d’une scène entièrement chantée reprenant la musique du film américain Stand by me, dont les droits musicaux ont dû représenter un cout important dans le budget), des axes caméra paresseux et basiques ; Arte accorde de très petits budgets aux premières saisons de séries françaises et ça se sent. Là n’est certes pas notre sujet, mais on désespère de voir arriver une série française sur les enjeux de genre, bien financée, en connexion avec le réel, aussi culotée et riche que The Good Wife, Unbelievable, Scandal, The Bold Type, Grey’s Anatomy, Dear White People etc.

Pourtant ça ne commençait pas mal : une femme complètement accablée par la charge mentale de sa vie quotidienne ; un couple de comédien·nes attachant·es sachant manier des registres allant de la dérision au drame en passant par la poésie ; la présence de personnages « secondaires » non hétéro-normés (les enfants/adolescent·es : Sam – né garçon mais qui se préfère fille –, Carole – impertinente, qui rue dans les brancards) ; un regard moqueur sur le mari, un photographe raté (qui veut organiser un festival de photo argentique « parce qu’on est plus proche de l’humain » alors qu’il est incapable de voir ce qui se passe sous son propre toit) ; le « fantôme » de la voisine qui a tué son mari après 50 ans de mariage, incarnée par Françoise Lebrun, à jamais liée à La Maman et la putain de Jean Eustache, qu’on pourrait lire comme un pied de nez à une nouvelle vague masculine égocentrée ; bref quelques ingrédients de départ plutôt séduisants, et pourtant… c’est la déconvenue : on attend que le 2e épisode décolle, puis le 3e, puis… c’est l’ennui mortel qui s‘installe, tant le contenu est pauvre et totalement déconnecté de la réalité (exception faite de la question de l’identité sexuelle de Sam qui sera l’occasion de la seule scène d’émotion avec un vrai réalisme psychologique).

Un ennui plombé par les péripéties visant à culpabiliser l’héroïne ou à faire diversion par rapport à la problématique de départ : elle utilise (pour falsifier les documents médicaux à son nom) les informations du dossier d’une femme au stade terminal d’un « réel » cancer du sein, montrée, elle, comme particulièrement courageuse, en résistance contre les assurances, ayant le sens du collectif et à qui Elvira ment jusque sur son lit de mort ; on lui découvre une précédente vie cachée, en connexion avec un réseau mafieux ; une équipe TV débarque, souhaitant faire un reportage, exposant particulièrement la plus petite et vulnérable des enfants qui a fait un blog très suivi autour de la maladie de sa mère…

Car hélas, la série semble atteinte de cette maladie d’une certaine fiction française qui veut rendre incompatible tout objet artistique avec la volonté de comprendre (dénoncer ? déconstruire ?) certaines problématiques sociales, politiques, culturelles, de genre, de classe, de race etc. Il semble même de bon ton de s’en défendre, comme pour masquer tantôt le vide abyssal d’une pensée, tantôt des visions du monde réactionnaires, au nom d’intérêts esthétiques supérieurs. Des formes et des grandes théories sur « notre besoin de fiction [2] » qui baignent dans l’entre-soi de la « culture cultivée [3] » et questionnent rarement les privilèges de celles et ceux qui la font. L’arrivée de ce type « d’objet original » serait même une bonne nouvelle selon Les Inrocks qui trouve que la fiction française est pauvre en « expérimentation » dans « une forêt créative peu épanouie »… Le Monde se félicite, lui, que le réalisateur ne se contente pas de donner raison à Elvira, signe d’un « retour à l’ordre » (les mots sont importants…) lorsque son mensonge produit l’effet désiré et « qu’elle respire à nouveau, que l’époux infidèle tourne le dos à sa maîtresse, les adolescents rebelles se font agneaux ». On peut s’interroger sur les raisons d’une réception critique si complaisante avec le réalisateur et l’autrice, comblant un à un ses manques, trous et vides, en les embellissant : « (…) un doux mais tenace parfum d’irréel. Il plane une menace sourde sur cette famille prisonnière d’une banlieue proprette aux secrets enfouis, qui doit beaucoup à Lynch et Tim Burton », selon Télérama. « Une série qui joue avec délice sur la transgression (…) Une série à l’esthétique soignée qui appuie sur les couleurs autant que les travers de cette famille », pour Le Parisien. « Un univers glaçant et réjouissant, où l’étrange infuse un ordinaire aseptisé. (...) Avec son virage vers la noirceur et ses décrochages poétiques, Mytho rejoint le laboratoire stimulant de la fiction française nouvelle manière », selon Libération. « Plus que tout, cette série, très sympathique, aborde mine de rien le sujet de l’aliénation familiale, qui n’a guère de porte de sortie, sauf celles de l’imaginaire, et donc de la liberté », pour L’Humanité.

Si une bonne partie de la fiction française est pauvre de quelque chose, c’est surtout de son ancrage dans le réel. Le réalisateur dit pourtant avoir eu en tête des films comme Tomboy de Céline Sciamma ou L’Emploi du temps de Laurent Cantet. Que sont devenues ces bonnes intentions ? Le scénario de départ, au potentiel extrêmement puissant est lui-même inspiré de la vie de l’autrice Anne Berest dont la mère vient de guérir d’un cancer du sein : « Je me suis regardée et je me suis trouvée dégueulasse, se souvient-elle. Il fallait que ma mère soit malade pour que je sois attentive à elle » [4]. Comment peut-on partir de ce constat pour arriver après plusieurs années de travail à des propos aussi discutables : « Quelle mère de famille n’a pas rêvé d’une bonne maladie pour pouvoir se reposer 10 jours ? [5] ». Oui, quel rêve qu’une « bonne maladie », souffrir dans sa chair quand on a un salaire minable, et/ou un contrat précaire, et/ou plusieurs emplois pour joindre les deux bouts, et/ou une tension psychologique constante de peur de laisser le retard s’accumuler parce que personne ne vous remplace, etc.

L’équipe artistique de la série, par la voix de ses comédien·nes interviewé·es dans le making-of de la série, enfonce le clou et met en avant son parti-pris :

Marina Hands : « Cette série n’est pas un drame social, je ne pense pas qu’on soit sur un drame social particulièrement français. Je crois d’ailleurs que ça reste dans une forme d’intemporalité, et même qu’on ne sait jamais très bien où on est ».

Matthieu Demy : « Une des choses très intéressantes de la série, c’est que tout l’univers visuel est assez stylisé. Le travail qu’ont fait Colombe Raby, le chef opérateur et le réalisateur, en accord avec le texte, c’est de prendre le parti de décaler esthétiquement l’univers de la série, et ça je trouve ça fort, justement, quand on parle du quotidien, de problématiques quotidiennes, de ne pas tomber dans le naturalisme. Et faire quelque chose de différent, je trouve que c’est une très bonne idée ».

Mytho serait donc plutôt une série qui interroge la « normalité » ? Une normalité au service de qui, au service de quoi et surtout dans quelle réalité, on ne le saura pas, tant tout est peu vraisemblable. Comment une famille si « originale », à l’intérieur si kitch et arty, a-t-elle pu atterrir dans ce quartier résidentiel où rien ne dépasse ? Mystère… Comment une femme employée dans une société d’assurance, vivant avec un mari artiste sans le sou et mère de trois enfants, peut-elle se payer une semaine dans un grand hôtel sur la Côte d’Azur ? Mystère encore… Comment des enfants aussi « singuliers », qui ont été encouragés à être en paix avec leur différence (« Tu dois devenir qui tu es ») peuvent-ils être attirés aussi vite par la secte qui se cache dans la maison voisine ? Que de mystères insondables…

Du côté de la « comédie subversive » annoncée sur la famille, description de l’aliénation familiale ou d’une certaine comédie du bonheur, rien de très nouveau ni de très crédible. Le décor, sans ancrage social, les familles voisines, américanisées, tout est fait pour déréaliser l’histoire : « Le péri-urbain, c’est une zone qui m’intéresse. On pourrait être un peu nulle part. Nulle part en France et même nulle part dans le monde, parce que ces zones pavillonnaires, ces centres commerciaux, au milieu des champs, ces espèces de bâtiments posés un peu au milieu de nulle part, avec ces architectures plus ou moins modernes, plus ou moins stylisées, plus ou moins intéressantes, ça raconte un paysage à la fois hyper cohérent et qui a quelque chose de très dépersonnalisé. On ne peut pas s’identifier à ça. (…) Ce n’est pas un territoire qui semble avoir un caractère. »

Il y a un vrai malaise. D’un côté, le manque d’empathie pour cette femme (il faut voir la séquence très sèche où elle avoue à sa famille les raisons de son mensonge ou encore cette scène finale, surréaliste, où, cachée dans la maison d’à côté, elle observe comblée – dans une sorte de nirvana – la réunion de sa famille au complet mais… sans elle !) ; de l’autre, une matière scénaristique vague et beaucoup de clichés à propos de ces « zones péri-urbaines ». À force de péripéties invraisemblables auxquelles on ne peut en effet pas s’identifier (alors que c’est pourtant ce qui permet de se mettre à la place de l’Autre, d’en avoir une meilleure compréhension, de trouver des solutions ou des outils de pensée pour sa propre existence), à force de déjouer sans cesse les constructions sociales de genre, de classe, de race, de relations entre les sexes, de travail, de pouvoir etc., on sort de Mytho dépité·e et las.se…

On se souvient avec émotion des 4 saisons de THE BIG C [6] (diffusées entre 2010 et 2013 sur Showtime puis en France sur Canal+ et Téva), cette série à la fois drôle et sombre, sur une mère et épouse qui découvre son cancer. Ou comment une femme blanche, enseignante, la quarantaine, qui découvre qu’elle n’a plus qu’un an à vivre, va faire sauter un à un les verrous de son existence et expérimenter, « supporter sa liberté » [7].
La fiction télévisée française a encore des progrès à faire pour prendre au sérieux les sujets qu’elle traite...


>> générique


Polémiquons.

  • Il faut vraiment de l’endurance, et de la conscience professionnelle pour s’être infligé jusqu’au bout le visionnage de ce navet...
    Oui, on pourrait presque au départ croire à quelque chose comme un questionnement du statut de la mère domestique... Mais très vite la série n’aligne que niaiserie et invraisemblances...
    Aucun personnage n’a le moindre intérêt. L’histoire est entièrement prévisible dès la première mise en place de l’intrigue...
    D’autre part, quand on est personnellement concerné, d’expérience, par la problématique du cancer, ce film est tout simplement désagréable et discourtois.

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[1Fabrice Gobert sur France Inter dans L’Instant M par Sonia Devillers le 9 Octobre 2019.

[2Dossier de presse Arte

[3Voir Pierre Bourdieu, La Distinction, éditions de Minuit, 1979.

[5Dossier de presse Arte – entretien avec Anne Berest

[7Chantal Thomas « Comment supporter sa liberté », Payot et Rivages Editions,2000