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Marie Roussin

Mixte


Par Geneviève Sellier / mardi 26 octobre 2021

La meilleure série française de 2021


1963 : première expérience de mixité au lycée Voltaire, le lycée de garçons d’une petite ville de province (où il n’y a pas de lycée public de filles). 7 filles arrivent en seconde, ce qui bouleverse autant le corps enseignant (déjà mixte) que les élèves.

Mixte, série en 8 épisodes, tresse deux fils narratifs, celui des adolescent·e·s et celui de la communauté éducative, profs, personnel administratif et infirmière, avec à la périphérie les parents des différents milieux dont les enfants fréquentent le lycée. C’est cette complexité qui fait la richesse de la série : ce n’est ni une série pour ados, style Skam ou Les Bracelets rouges, ni une série professionnelle, où le lycée remplacerait le commissariat, l’hôpital ou le cabinet d’avocats.

Mixte a été entièrement financée par Amazon Prime Video et les producteurs de la série fonctionnent sur le modèle états-unien, avec une showrunner, c’est-à-dire une scénariste qui a la maîtrise globale de la production, depuis l’écriture (dont elle dirige le collectif) jusqu’à la réalisation (elle choisit qui réalise) en passant par le casting. Ce modèle est à rebours de celui du cinéma d’auteur où c’est le réalisateur qui a la maîtrise globale de la production, y compris en étant (co)scénariste, sans en avoir toujours les compétences…

C’est Marie Roussin, qui a fait ses armes en France (Les Bleus, Un village français, Les Bracelets rouges) et aux Etats-Unis (Borgia), qui est la showrunner de ce projet qu’elle portait depuis dix ans et qui avait été refusé par toutes les chaînes françaises…

Mixte permet d’aborder un moment fort des changements sociétaux en France, celui des débuts de la mixité dans les lycées, et plus largement une nouvelle étape dans la bataille pour l’égalité des filles et des femmes, et dans leur émancipation sexuelle.

C’est le plus souvent à partir du point de vue des filles que nous suivons leur difficile intégration dans le lycée, aux prises avec la misogynie de beaucoup d’enseignants et face aux agressions diverses de leurs condisciples masculins, obsédés par leurs fantasmes sexuels et jaloux des performances scolaires des filles. Il y a Annick (Lula Cotton-Frappier) qui a le gros défaut d’être physiquement une bombe sexuelle sur le modèle BB, tout en état brillante intellectuellement ; Michèle qui a échappé de justesse à la charcuterie de ses parents grâce à l’ouverture aux filles de la seconde du lycée public, mais qui est en butte au mépris sexiste de son frère en terminale dans le même lycée ; il y a Simone qui arrive d’Algérie avec sa famille rapatriée, un peu trop sensible à l’attention des garçons.
Du côté des garçons, on a une galerie aussi variée que calamiteuse de masculinités hégémoniques et dominées, avec toute la violence que cela engendre.

La bonne idée de la série est aussi de se focaliser, parmi les adultes du lycée, sur le personnage du surveillant général, incarné par le délicieux Pierre Deladonchamps, aux antipodes du stéréotype répressif attaché à ce genre de fonction, doux et introverti, dont les difficultés sexuelles l’ont amené à servir de couverture à une amie lesbienne (Maud Wyler), infirmière dans le même lycée, qu’il a épousée. Le couple est constamment sur le fil du rasoir, dans le contexte de cette petite ville en proie aux ragots.
Parmi les enseignants, la série fait un sort au vieux prof de lettres classiques (Gérard Laroche), arc-bouté sur son refus de la mixité ; à la prof d’histoire (Anne Le Ny) « vieille fille » constamment dans la plainte vis-à-vis de ses élèves ; à la jeune prof d’anglais (Nina Meurisse), non titulaire et séparée de son mari, ce qui la fragilise doublement vis-à-vis de ses collègues.
La série entremêle de façon convaincante scènes de la vie scolaire et scènes de la vie privée, les rapports de force et les conflits comme les attirances rendant les deux sphères parfaitement perméables. La cause est entendue : le privé est politique et l’école n’est pas une oasis égalitaire…
Toutes ces qualités nous ont fait regretter l’habitude française de faire des saisons de 8 épisodes seulement et nous faisaient attendre avec impatience la saison 2, d’autant plus que la créatrice de la série a proclamé haut et fort que pour elle, la logique était d’aller jusqu’en 1968, à raison d’une saison par année scolaire.

D’où la stupeur et l’indignation quand on a appris qu’Amazon refusait de financer la saison 2. Voici ce qu’en dit Laurent Ceccaldi, producteur de la série :

« Amazon est très content de la qualité de la série et son succès critique. Le taux de complétion est excellent, c’est à dire que la plupart de leurs abonnés sont allés jusqu’au bout de la série après l’avoir commencée. Mais les chiffres d’audience, en France et à l’international, sont en deçà des attentes de notre commanditaire, eu égard à l’importance de leur investissement dans la production et dans la promotion de la série. C’est effectivement une série qui a coûté cher, principalement en raison des surcoûts liés au tournage pendant la deuxième vague de la pandémie. Et la promotion qu’ils ont faite au moment de la sortie a été massive. (…) On est très frustré parce qu’on a l’impression d’avoir vraiment contribué avec Mixte à ce que Prime Video devienne un canal de référence pour la fiction française premium. » La décision est d’autant plus incompréhensible que sur la saison 2, argumente le producteur, « on fait déjà l’économie d’une préparation : on a notre casting, nos décors. Avec l’expérience de la saison 1, on peut optimiser les coûts. »

Faut-il mettre tous ses œufs dans le panier des plates-formes américaines ? Même si on regrette la frilosité des chaînes françaises, le recours à Netflix ou Amazon soumet les créateur·rice·s français·e·s à une autre sorte d’arbitraire qui paraît encore plus redoutable...

Signez et faites signer la pétition en ligne pour sauver la série !


générique


Polémiquons.

  • Une série admirable et passionnante, qui rappelle par endroits la série états-unienne « American Dreams » (NBC, 2002-2005).

    La stratégie cynique des plateformes n’est pas une surprise : française ou pas, les séries diffusées sur ces canaux dépassent rarement la première saison, et encore plus rarement la 3ème (par exemple, sur les dizaines de séries « originales » que diffuse Netflix, seules 7 ont passé la barre des 40 épisodes).

    Il n’y a plus qu’à rêver (si c’est possible en termes de droits) que la série soit reprise par un autre diffuseur… une chaine de télévision « classique » par exemple.

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