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Emmanuel Mouret / 2020

Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait


>> Geneviève Sellier / mercredi 30 septembre 2020

Une parodie de « film d’auteur » ?


Pendant les 122 longues minutes que dure ce film, je pensais à toutes les personnes de ma connaissance, de tout âge, genre, classe, race, qui auraient quitté la salle…
Daphné (Camélia Jordana), enceinte de trois mois, vit avec François (Vincent Macaigne) qui a dû aller à Paris quelques jours pour le boulot. Ils habitent une maison (merveilleuse) dans la campagne méditerranéenne où elle accueille Maxime (Niels Schneider) le cousin de François, qui sort d’une histoire sentimentale compliquée. Tout en lui faisant visiter la région, elle l’encourage aux confidences. Suit un premier flashback sur la rencontre purement sexuelle de Maxime avec Victoire (Julia Piaton), qui lui présente sa sœur Sandra (Jenna Thiam), dont il a été amoureux autrefois. Il est accompagné de son meilleur ami Gaspard (Guillaume Gouix), qui entame illico une relation avec Sandra. Ils proposent à Maxime de venir habiter avec eux dans l’appartement (grand siècle) que leur a laissé la tante décédée de Sandra.

L’histoire de Maxime s’interrompt pour revenir au présent où Daphné après quelques commentaires profonds du genre « il ne faut confondre le plaisir et l’amour », propose à Maxime de lui raconter comment elle a rencontré François : rebelote pour un flash-back sur Daphné, qui monte un documentaire sur un philosophe, mauvais clone de Derrida (Emmanuel Mouret n’a sans doute pas obtenu le droit d’utiliser le vrai), qui plaide pour l’amour désintéressé et le pardon ; Daphné regarde d’un air énamouré le réalisateur (Louis-Do de Lencquesaing) qui la félicite pour son travail.

Mais manque de pot, quand il l’invite enfin à dîner, ce n’est pas pour lui avouer sa flamme, mais pour lui annoncer qu’il aimerait qu’elle monte son prochain film et qu’il est en train de tomber

amoureux de l’amie archiviste qu’il lui a recommandée… Sous le coup de la déception, elle manque s’évanouir, mais rencontre dans la rue un homme (François) qui lui propose de prendre un pot. Etc. etc.

Je passe sur les péripéties qui suivent, mais le clou du film est quand même autour du personnage incarné par Émilie Dequenne, Louise, la femme de François qu’il va quitter pour Daphné (Camélia Jordana a onze ans de moins qu’Émilie Dequenne, et quinze ans de moins que Vincent Macaigne : tout est normal). Quand Louise découvre que son mari la trompe, et après des tentatives vaines pour le reconquérir, elle décide d’inventer un subterfuge pour qu’il ne sente pas coupable de la quitter : elle va donc lui faire croire qu’elle le quitte parce qu’elle a rencontré quelqu’un d’autre ; et même l’inviter quelques mois plus tard avec sa nouvelle compagne pour lui faire rencontrer son nouveau compagnon (elle a loué les services de Stéphane / Jean-Baptiste Anoumon pour l’occasion) : peut-on rêver plus belle preuve d’amour ! Quand François découvre le subterfuge, il est tellement ému par l’abnégation de son ex-femme qu’il recouche avec elle. Et ça continue comme ça pendant plus de deux heures.

Dans le monde fantasmatique d’Emmanuel Mouret, on a de graves problèmes : suis-je amoureux/se ou est-ce seulement une histoire de désir physique ? Comment savoir ? Moi qui n’aime pas Rohmer (pour de très bonnes raisons féministes), je me disais qu’au moins les histoires que racontaient Rohmer se passaient en général dans des « vrais » milieux petit-bourgeois !

|Ici on a Rohmer pour les dialogues littéraires et les relations hommes-femmes à tiroirs + Maisons et jardins + monuments historiques + culture d’élite + aucun problème de fric ni de travail : un rêve tellement distingué !

Le film se veut dans la continuité du précédent du même auteur, Mademoiselle de Joncquières, qui adaptait un épisode de Jacques le fataliste de Diderot. Mais la référence à la littérature du XVIIIe siècle très sensible aux rapports de classe, est tout à fait abusive ici. On ne sait pas s’il faut se réjouir pour Camélia Jordana d’être sortie des rôles racisés dans des films grand public (Le Brio) pour accéder au « cinéma d’auteur » blanc de blanc… (ah non, pardon, j’oubliais Jean-Baptiste Anoumon, celui qui joue le faux compagnon (noir) de Louise, mais justement lui n’est pas un vrai protagoniste !)

En effet, ici les vrais personnages passent leur temps à se raconter leurs histoires d’amour, ce qui leur donne envie de coucher ensemble, et comme ils ont des métiers aussi chics (monteuse, traducteur, architecte) que peu prenant, ils trouvent le temps pour le faire… Et en plus leurs épouses s’effacent discrètement quand ils tombent amoureux d’un jeune tendron : c’est vraiment Noël !

Les mauvaises langues disent que le cinéma d’auteur français, c’est trois personnages dans un deux-pièces cuisine : Emmanuel Mouret a réussi à trouver le financement pour passer au niveau supérieur : on a huit personnages dans des décors « Maisons et jardins » : belle promotion !


>> générique


Polémiquons.

  • Très intéressant de lire cet avis frontalement opposé au film : j’ai toujours adoré le cinéma de Mouret, en sachant très bien que c’est un cinéma de bourgeois blancs qui n’ont pas de problèmes sociaux mais uniquement de cœur, c’est très assumé, et ça ne m’a jamais posé problème quand il y avait le côté décalé de ses premiers films, avec une dose de burlesque ou d’absurde. Je trouve toujours ça très beau, avec une direction d’acteurs/trices impeccable, et je suis très sensible à l’écriture rohmérienne des dialogues. En revanche je suis chagrinée de voir énormément d’avis qui considèrent "Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait" comme son meilleur film. C’est peut-être un parti-pris mais toutes les situations sont des poncifs de la vie sentimentale dans le ciné français d’auteur (avec ce qui est décrit dans l’article, l’homme qui quitte sa femme pour une plus jeune, etc.). On dirait que ce film est une synthèse de plusieurs éléments de ses précédents, mais du coup à mes yeux ça manque de fraîcheur et de renouvellement. Par exemple, j’aurais apprécié voir la question du polyamour évoquée franchement, les personnages discuter sincèrement des options qui s’offrent à eux au lieu de passer leur temps à se mentir, quelque chose d’un peu plus courageux (et pourquoi pas aussi des personnages LGBT+, car tout cela est très hétérocentré). Après, le programme était dans le titre : il y a ce que les persos professent, et ce qu’ils font qui n’est pas à la hauteur et qui est souvent juste un non-choix, une façon de se laisser porter au lieu de vraiment décider. Mais c’est ça que je trouve décevant, qu’à partir de ces poncifs, le film n’essaye pas d’aller vers plus de modernité dans les résolutions.

  • Je n’ai pas vu ce film et je n’irai pas le voir bien que j’aie aimé le précédent ( Joncquieres). Vraiment ras le bol des couples de cinema où le rôle masculin a 20 ans de plus que sa partenaire et où tout paraît normal. Cela n’est pas une réalité sociologique et je ne m’identifie jamais à ce genre de couple. Vincent Macaigne est sans doute un bon acteur, mais il ne fait pas rêver. Les femmes aussi ont droit à leur part de rêve : pourquoi y-a-t-il presque toujours plus de jolies comédiennes à l’écran que de beaux mecs dans un même film ? Il n’y a donc que des hommes dans les salles ?? Si la série Outlander marche si bien dans le monde anglophone, c’est parce qu’ils ont compris que les femmes aussi aimaient bien se rincer l’oeil (pardonnez-moi la vulgarité de l’expression. En anglais, on dit "eye candy", c’est plus innocent). Cette parité dans le sex appeal fait désormais partie de mes critères. Je paie mon ticket le même prix que les hommes et je veux être séduite, éblouie, divertie autant qu’eux !!! Evidemment il y a aussi des films où la beauté physique n’est pas essentielle (et tant mieux), mais ce n’est pas mon sujet du jour.

  • Attention, message écrit par un homme. Je réponds à celui d’au-dessus, à ce sujet :
    "Les femmes aussi ont droit à leur part de rêve : pourquoi y-a-t-il presque toujours plus de jolies comédiennes à l’écran que de beaux mecs dans un même film ?"
    Je pense que c’est passer à coté de quelque chose si on ne comprends pas que ce déséquilibre est justement bien compris et développé par Mouret, avec une certaine ironie. Le personnage de Camélia Jordana n’est pas amoureuse de Vincent McCaigne, elle se laisse "séduire" par dépit et reste avec lui par faiblesse. Vincent McCaigne est un personnage médiocre dans ce film, et ne mérite évidemment pas les deux femmes qu’il épouse dans le film. S’il vous énerve, c’est normal. A coté de cela, le perso de Neils Schneider, qui lui est "beau gosse" rame en amour, trop idéaliste et paumé, s’accrochant à des femmes toujours prises.
    Bref, si la différence d’âge et de beauté entre hommes et femmes est souvent un biais inconscient assez fatiguant dans le cinéma Français, ici je pense que Mouret s’amuse de ce cliché, en faisant du seul personnage masculin séduisant le "looser" de l’histoire, qui aime de belles femmes en couple avec des hommes laids (McCaigne, Gouix).

  • Petite remarque préliminaire : le personnage interprété par Neils Scheinder est en couple avec une femme interprétée par Julia Piaton qui est plus âgée et plus forte que lui.
    Poursuivons.
    Sans doute ai-je lu trop de livres ayant trait à l’idéologie néolibérale et ses conséquences sur les individus, à des enquêtes sociologiques relatives à la sexualité et au sentiment amoureux. Mais tous les personnages, (sauf celui de Julia Piaton) sont assaillis par le doute. Aucun ne peux vivre sereinement l’instant présent,
    Toutes et tous sont incapables de distinguer le désir sexuel du sentiment amoureux, de dire ce désir ou ce sentiment.
    Quant aux hommes ils semblent tous perturbés par la liberté ambiguë dont font preuve les femmes. Est-ce l’expression d’une nostalgie de la part du réalisateur (ah ! le sacrifice de la première épouse du personnage interprété par Vincent Macaigne) ?
    Vision particulièrement noire et fataliste de notre époque : est-ce ainsi dans la bourgeoisie française ? (j’avoue que je me suis demandé si le réalisateur serais capable de faire un film au sein des classes populaires).
    Notons que des femmes sont enceintes à la fin du film (ouf ! les françaises conserveront la pool position européenne en matière de procréation - la morale est sauve). But ultime de l’accouplement monsieur Emmanuel Mouret ? Des enfants conçus d’un doute ! Même au pied d’un sapin de noël, est-ce un progrès ?

  • Le film est tout sauf féministe et le film est tout sauf réaliste, et même à la limite du supportable pour qui n’est pas de la haute bourgeoisie.
    J’ai presque eu un fou rire (pour le dire poliment) quand j’ai vu que les personnages, présentés comme des jeunes fauchés et artistes (écrivain ou ce genre de choses), vivaient dans un hôtel particulier du Marais, et attention, meublé comme pour accueillir les chefs d’État venus en visite diplomatique. Les gens qui par hasard y vivraient réellement feraient dégager les jeunes fauchés à coup de frais de syndic vite fait bien fait.
    Mais imaginons que ces gens évoluent dans un monde alternatif imaginaire.

    Mais même dans ce monde imaginaire... les peines de cœur des uns et des autres paraissent sans épaisseur ou complètement artificiels. Il faut dire que la moitié des acteurs joue mal, et que le scénario n’aide pas les autres...
    Digne d’un vrai nanar de chez Nanarland (le site), et c’est dit sans exagération malheureusement. Si le but est de provoquer des reflux gastriques en tout cas c’est réussi, rien que de me remémorer le film j’ai la nausée. Autant de mépris de classe et de médiocrité en même temps, c’est vraiment vouloir faire passer le message que "quand ça ne dérange pas la bourgeoisie et le patriarcat, tout trouve financement".

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