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Xavier Beauvois / 2017

Les Gardiennes


>> Geneviève Sellier / vendredi 8 décembre 2017


Les Gardiennes de Xavier Beauvois est présenté par Le M (le magazine du Monde) comme « l’écho féminin de Des hommes et des dieux »… Ce dernier film sur le rôle des agricultrices pendant la guerre de 14-18 souffre pourtant d’être l’adaptation d’un roman d’Ernest Pérochon, publié en 1924, fortement imprégné d’idéologie patriarcale : en effet tout en se voulant un hommage aux agricultrices qui reprirent en mains les fermes après le départ de leur mari, père et/ou fils pour le front, le roman véhicule un certain nombre de stéréotypes misogynes comme celui de la matrone dure à la tâche et implacable pour son entourage, de la fille coquette, paresseuse et volage, etc… Seule la servante, une fille de l’Assistance, trouve grâce aux yeux du romancier, sans doute parce qu’elle est en position complètement dominée…

Bien que la scénariste Frédérique Moreau et le cinéaste aient tenté d’atténuer cette misogynie, il en reste quelque chose, mais surtout cela amène une certaine incohérence dans la construction des deux personnages incarnés par Nathalie Baye et Laura Smet. Et le film est miné par la fausse bonne idée de faire jouer à la mère et la fille dans la vie, les rôles de mère et fille dans le film. En effet, malgré une perruque de cheveux gris qui la vieillit indubitablement, Nathalie Baye a beaucoup de mal, avec ses traits fins et sa silhouette gracile, à incarner physiquement une paysanne ; quant à Laura Smet, elle est encore plus invraisemblable dans le rôle de la fille, pour les mêmes raisons. Il aurait sans doute fallu avoir le courage de choisir des actrices moins connues et physiquement plus conformes à des figures de paysanne du début du siècle… Elles concourent à faire pencher le film du côté d’une esthétique qui évoque davantage les Très riches heures du duc de Berry que la dureté de la vie pendant la guerre de 14.

Mais surtout, en voulant « positiver » ces deux personnages, l’adaptation leur enlève de la cohérence : en effet, dans le roman, la mère (qui a à ses côtés un mari qu’elle écrase littéralement, puisqu’elle va finir par le tuer en le faisant travailler jusqu’à épuisement) est une femme de devoir qui a une conscience aigüe de son statut de propriétaire et qui se donne pour mission d’assurer la transmission familiale des terres et de tenir sa famille. De là s’explique l’accusation infamante qu’elle porte contre la servante dévouée, Francine, qui lui sert de bouc émissaire pour sauver l’honneur de sa famille, quand elle se rend compte que sa fille couche avec un militaire américain (dont un régiment stationne près du village en attendant de monter au front : on est en 1917).

Les adaptateurs se livrent à des contorsions encore plus visibles pour « positiver » le personnage de la fille incarnée par Laura Smet. Dans le roman, c’est une figure complètement négative, coquette et paresseuse, elle veut vendre les terres dont elle a hérité avec son mari, parce qu’elle refuse de les cultiver en son absence (mais sa mère va l’obliger à le faire). Puis elle « flirte » avec tous les hommes de passage, qu’ils soient des valets de ferme ou des militaires en convalescence ou en partance pour le front. Sa mère doit venir s’installer chez elle pour la surveiller…

Elle a un enfant en bas âge dans le roman, alors que dans le film, son mari a déjà une fille adolescente d’un premier mariage et elle avoue à son frère qu’elle est stérile (on voit mal comment une paysanne au début du XXe siècle peut savoir cela…), elle est montrée comme seule et malheureuse quand elle apprend que son mari est fait prisonnier. Et après qu’on l’a vue à moitié déshabillée avec un soldat américain, derrière un bosquet où l’épie sa mère, elle se justifie auprès d’elle en disant qu’elle n’est pas passée à l’acte au dernier moment, en pensant à son mari. Tout ce passage souffre d’invraisemblance et vise clairement à atténuer la négativité de son personnage (dans le contexte de l’époque, tromper son mari, qu’il soit au front ou prisonnier, est une tâche indélébile).

Le film est sauvé par le personnage de la servante, incarnée par une actrice non professionnelle, Iris Bry, à l’apparence physique plus ordinaire. Nous sommes en empathie avec elle dès qu’elle fait irruption dans l’histoire et nous ne la quitterons quasiment plus, comme dans le roman. Elle est d’abord une sorte d’incarnation de l’agneau évangélique : sans famille ni ressources, elle se dévoue corps et âme à la patronne qui l’emploie, et subit les rebuffades sans se plaindre, toujours prête à ouvrir son cœur à la première manifestation d’humanité. C’est ce qui la perdra, quand le plus jeune fils de la maison vient en permission et la trouve à son goût. Elle se donne à lui sans arrière-pensée, et subira les représailles de la mère qui a un autre projet matrimonial pour son fils, plus en accord avec les intérêts familiaux. Accusée à tort d’être une « Marie couche-toi là », elle est chassée du jour au lendemain, mais le roman comme le film refusent de la livrer au désespoir et à la misère qui devaient être encore le lot de beaucoup de servantes dans ce genre de situation à l’époque (elle constate bientôt qu’elle est enceinte).

La dernière partie la montre demandant conseil aux fonctionnaires de l’Assistance publique qui la suivent avec bienveillance, trouvant refuge chez une paysanne accueillante qui va se retrouver bientôt veuve à son tour. L’histoire qui a commencé en 1915 se termine en 1920 : cependant que dans la ferme, les fils et le gendre de retour du front (seul le fils instituteur est mort) se disputent les terres sous le regard satisfait de la mère désormais silencieuse, Francine a refait sa vie loin d’eux : après avoir accouché et fait baptiser son bébé, elle coupe symboliquement ses cheveux et la dernière séquence est une invention de Xavier Beauvois qui utilise la jolie voix d’Iris Bry pour marquer son émancipation : elle chante avec un petit orchestre amateur dans un bal de village.

Contrairement au téléfilm de Jacques Renard sur le même sujet, Jeanne, Marie et les autres, (France 3, 2000), le film de Beauvois a le défaut de s’appuyer sur un roman de l’époque dont la misogynie est structurelle, et d’avoir choisi une distribution certes prestigieuse mais totalement inadaptée au sujet. Enfin, l’ambition esthétique du film, et les multiples références cinéphiliques que le cinéaste et les critiques mentionnent comme preuve de qualité, concourent à décrédibiliser l’histoire en lui donnant une joliesse en contradiction avec la dureté de l’époque.


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