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Michel Hazanavicius / 2017

Le redoutable


>> Geneviève Sellier / samedi 16 septembre 2017


Le Redoutable, bien que souvent drôle, m’a laissé un sentiment de malaise. Adapté du récit d’Anne Wiazemsky, Un an après, publié en 2015, qui raconte sa vie avec Godard pendant l’année 1968, le film propose un sosie parfait du Godard de l’époque grâce à la composition impressionnante de Louis Garrel, mais donne bizarrement au personnage d’Anne W. le look de Chantal Goya dans Masculin Féminin, réalisé par le même Godard en 1966 – juste avant sa rencontre avec Anne Wiazemsky –, portrait au vitriol de la génération yéyé, et en particulier des jeunes filles tout entières résumées par leur désir de consommation…

Le récit que fait Anne Wiazemsky de leur rencontre a le mérite de donner, une fois n’est pas coutume, la parole à une femme qui d’objet de désir devient sujet de sa propre histoire. La qualité de ce récit tient à la dignité et à la lucidité avec laquelle elle raconte cette expérience à la fois exaltante et douloureuse, et la grande confusion politique qui caractérisa cette période.

La narratrice d’Un an après, si elle vit douloureusement l’écart qui se creuse entre le cinéaste dont elle est tombée amoureuse et le militant révolutionnaire qu’il est en train de devenir et qui lui est de plus en plus étranger, est le contraire d’une « bimbo »… c’est une jeune étudiante en philo qui s’émancipe de son milieu d’origine (la famille Mauriac) à travers des rencontres amicales et professionnelles et commence une carrière d’actrice de cinéma, mais qui fait aussi l’expérience des contradictions d’une relation amoureuse avec un homme de 17 ans son aîné, qui joue le rôle de mentor, tout en manifestant une jalousie maladive…

L’adaptation que fait M. Hazanavicius d’Un an après n’a pas pour but de donner la parole à la seconde épouse de Jean-Luc Godard, ni de nous aider à comprendre ce qui s’est joué en 1968 pour le cinéaste de La Chinoise, mais de nous faire rire des contradictions du grand homme et de nous amuser en imitant son style filmique. Le personnage d’Anne n’est là que comme un témoin commode, grâce à qui on peut regarder le « maître » par le petit bout de la lorgnette, tourner en dérision son sérieux imperturbable, s’effrayer de sa possessivité maladive qui mine la crédibilité de ses discours égalitaires…

Dans le film, Anne W. ressemble davantage au stéréotype de la midinette que Masculin féminin stigmatisait : on la voit lire en cachette de Godard « Salut les copains », alors qu’elle est censée lire des écrits maoïstes. La scène est d’ailleurs un pastiche de la dernière séquence de Fenêtre sur cour, où l’on voit Grace Kelly faire semblant de lire un magazine de reportage pour plaire à son fiancé (James Stewart), avant de reprendre son magazine de mode dès qu’il s’est endormi.

L’interprète d’Anne est la jeune Stacy Martin, ancien mannequin qui a débuté sa carrière d’actrice dans le très dénudé Nymphomaniac (Lars von Trier, 2014) ; elle est complaisamment filmée sous toutes les coutures de son corps longiligne, mais n’a pas la sensualité émouvante de la jeune Anne Wiazemsky (ni d’ailleurs d’Anna Karina quelques années plus tôt).

Ce choix de casting accentue le déséquilibre du couple, entre le cinéaste génial dont on guette les saillies, volontaires ou non (tout en admirant la performance de Louis Garrel), et la petite « Lolita » sur laquelle il a jeté (provisoirement) son dévolu.
Nous n’avions pas besoin de ce film pour savoir que Godard première manière (période Karina et période Wiazemsky) est un exemple caricatural de la tradition occidentale qui veut qu’un artiste (peintre ou cinéaste) trouve – et renouvelle – son inspiration grâce à une fixation érotique sur une femme, de préférence beaucoup plus jeune que lui, qu’il modèle à sa guise…

Les admirateurs du cinéaste [1] auront beau jeu de souligner la mauvaise foi et les manipulations nombreuses auxquelles se livre Hazanavicius – la plus choquante étant l’invention (qui n’est pas dans le livre) d’une intervention de Godard dans l’amphi bondé de la Sorbonne pour dénoncer en bafouillant lamentablement « les juifs qui sont les nouveaux nazis ». Quand on connaît l’engagement de Godard auprès des Palestiniens à l’époque, qui se concrétisa par un tournage au Sud Liban en 1970 et par le film Ici et ailleurs en 1974, on se demande à quel règlement de comptes se livre Hazanavicius…
Quant aux spectateurs/trices féministes, ils/elles auront du mal à trouver leur compte dans cette énième représentation aussi creuse que complaisante d’un couple « incestueux » – j’entends par là un couple où l’homme a peu ou prou l’âge d’être le père de « sa » femme…

>> générique

Polémiquons.

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