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Hirokazu Kore-eda / 2020

La vérité


>> Ginette Vincendeau / jeudi 9 janvier 2020

Catherine Deneuve en mauvaise mère chez Kore-eda


Le réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda est connu pour ses délicates et touchantes histoires de familles, comme Tel père, tel fils, qui reçut le Prix du jury à Cannes en 2013, ou Une affaire de famille, Palme d’or en 2018. Pour son dernier film, La Vérité, le réalisateur a tourné pour la première fois en France, à l’appel de Juliette Binoche. Adaptant une histoire à laquelle il pensait depuis longtemps, il a désiré y faire figurer Catherine Deneuve qui pour lui incarne « l’histoire du cinéma, l’histoire de son pays ».

Dans La Vérité, Deneuve interprète une star de cinéma âgée, Fabienne, qui vient de publier ses mémoires, intitulées, ironiquement bien entendu, « La Vérité ». Sa fille Lumir (Binoche), une scénariste qui vit à New York, vient lui rendre visite avec son mari Hank (Ethan Hawke), un acteur, et leur fille Charlotte, âgée d’une dizaine d’années (Clémentine Grenier). Fabienne est d’emblée cassante, égocentrique, jamais contente, bref, insupportable. Lumir, tendre avec sa fille et son mari, l’est peu vis-à-vis de sa mère. Elle considère le livre comme un ramassis de mensonges, où Fabienne se donne le beau rôle. D’autres proches sont blessés par le livre, notamment Luc (Alain Libolt), le secrétaire et souffre-douleur de Fabienne. Mère et fille s’entre-déchirent, tandis que Fabienne tourne un film de science-fiction dans lequel elle joue le rôle d’une femme dont la mère (interprétée par une jeune actrice, Manon Clavel) ne vieillit jamais.

La Vérité poursuit des thèmes familiers chez Kore-eda, la famille, mais aussi le poids du passé, le vieillissement et, comme le signalent un peu lourdement le titre du film et du livre de Fabienne, la frontière poreuse entre vérité et mensonge. La promotion de La Vérité a beaucoup insisté sur cette dernière question, le réalisateur se demandant s’il vaut mieux, pour le bien de la famille, « une vérité cruelle ou un gentil mensonge ». A l’avant-première du film à laquelle j’ai assisté, au cinéma UGC Gobelins à Paris, il a été présenté exactement de cette façon. Le thème est diffus dans tout le film et concrétisé plus précisément par un épisode, peu crédible d’ailleurs : Lumir écrit pour sa mère – censée être incapable de s’excuser ou d’éprouver un sentiment généreux – un dialogue pour une scène de réconciliation avec Luc qui l’a quittée, blessé de ne pas figurer dans le livre. La petite mise-en-scène réussit et la famille dîne et danse joyeusement avec Luc et sa famille, pour fêter le retour de celui-ci auprès de Fabienne. Moralité : un gentil mensonge vaut mieux qu’une méchante vérité.

Famille dysfonctionnelle, tromperie, peur de la mort – ces thèmes sont toujours d’actualité mais pas d’une d’originalité confondante. On peut dire la même chose des autres films de Kore-eda, mais ils fascinent, en tout cas hors du Japon, par leur présentation de personnages attachants, en butte à des problèmes universels mais ancrés dans la société japonaise. Personne n’est attachant dans La Vérité, peut-être parce que nous ne sommes pas vraiment dans une « famille », mais dans une rencontre au sommet entre deux stars qui, pitch du film, n’avaient jamais tourné ensemble. Et, à un certain niveau, comme toutes les stars, elles jouent leur propre personnage.

Deneuve en grande dame impérieuse, élégante, un brin sardonique, la cigarette aux lèvres, incarne la mère de famille bourgeoise à quoi elle est abonnée depuis pas mal de temps. Citons, entre autres, Conte de Noël (2008), Potiche (2010), Les Bien-aimés (2011), Elle s’en va (2013), L’Homme qu’on aimait trop (2014), 3 cœurs (2014), La Dernière folie de Claire Darling (2018), Fête de famille (2019). Binoche, comme on peut s’y attendre, est plus émotive et mélancolique (Fabienne l’accuse d’être trop sérieuse), avec, soudain, les deux ou trois éclats de rire auxquels elle nous a habituées. Mais le film se concentre sur Deneuve, qui cristallise deux personnages : la star vieillissante (donc pathétique) et la mauvaise mère (donc monstrueuse). On sait depuis les travaux des chercheuses féministes anglo-américaines, que la figure de la mère au cinéma est définie par l’excès – trop présente (envahissante, étouffante) ou trop absente (néglige ses enfants), elle est forcément en défaut. De toute évidence, le film s’inscrit dans le deuxième scénario. Très présente à l’écran, Deneuve incarne néanmoins le manque – d’affect, d’amour, de compassion, un défaut mis en parallèle, de manière totalement stéréotypée, avec l’obsession de sa carrière. Fabienne déclare : « je préfère avoir été une mauvaise mère, une mauvaise amie et une bonne actrice ». On ne saurait être plus claire.

Le ton de La Vérité se veut ironique, léger, doux-amer. Le film débute par une interview de Fabienne où elle balance quelques « vacheries » ; le talent de Deneuve rend la scène amusante. Et puis, tout finit bien : mère et fille sont plus ou moins réconciliées, grâce (est-il nécessaire de le préciser ?) à quelques gentils mensonges. Mais, entre les deux, le film est répétitif et franchement ennuyeux ; par ailleurs, le film-dans-le-film, censé approfondir les thèmes mère-fille et vieillissement, est totalement sans intérêt (j’ai rarement vu des scènes de tournage aussi insipides). Le plaisir jamais démenti de voir Deneuve et Binoche, et les jolis plans de feuilles qui tombent dans le parc automnal autour de la très belle maison ne suffisent pas à masquer le fait que nous regardons un film qui dénigre triplement un personnage féminin, en tant que femme, en tant qu’actrice et en tant que mère.


>> générique


Polémiquons.

  • zbrah !
    Tout pareil. Ce film m’a fait l’effet d’une sorte d’hommage amidonné au cinéma français, en tout cas cette incarnation bourgeoise parisienne nombriliste qui est sans doute la plus vue à l’étranger. La forme, les thèmes, tout m’a semblé plus ou moins cliché, ça pourrait quasiment être une parodie.

    Et puis le côté méta (d’une finesse également)... oui voilà, le titre se veut sûrement aussi une métaphore de la comédie, qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est joué, peut-être que le "mensonge" du cinéma est plus profond que "la vérité" de nos vies ?? ou pas ? je sais pas, Deneuve vs Binoche, thèse-antithèse et si elles s’acceptaient mutuellement à la fin de s’aimer malgré leurs différences ça ferait une sorte de synthèse hou ça serait malin ça tiens. Rien de tout ça ne m’a semblé d’une actualité brûlante ou d’une nouveauté explosive.

    J’étais allé voir ce film pour Kore-Eda comme j’avais trouvé Une histoire de Famille trop trop trop classe et du coup là j’étais là... mais noooon (╯°□°)╯︵ ┻━┻

    Bon heureusement y avait la petite fille, Charlotte. Elle rattrape tout le film <3

  • Certes il s’agit d’un film sur les relations familiales, et plus particulièrement mère - fille. Mais dans un milieu particulier : celui des actrices de haut rang (interprétées par des actrices de haut rang).
    Ne peut-on y voir également, comme un hommage, un film sur l’actrice Catherine Deneuve ? : Allusions répétitives à "Sarah" (Françoise Dorléac ?), propos sur le réalisateur, les actrices (il faut le faire non ?), etc.
    Ne peut on y voir une réflexion sur la "vérité" d’une actrice ? N’est-elle pas toujours en représentation, même dans sa vie intime ? Nourrit-elle son expression artistique à partir de sa vie intime qui est ainsi réduite à l’utilitarisme ? Etc. D’ailleurs un moment de "vérité" est visible lorsque la "Star" offre la robe de "Sarah" à la jeune actrice, preuve de la reconnaissance de la nature de cette femme, future personne "extraordinaire" .... Bien sûr cette réflexion est valable pour les hommes acteurs ...
    Ne peut on y puiser des éléments de réflexion au sujet des personnes extraordinaires (au sens littérale) ? Peut- on être aimé "ordinairement" par une personne extraordinaire ? Comment aimer une personne extraordinaire ?
    Quant aux hommes .......! Même si le secrétaire particulier ..... et le mari du personnage interprété par Juliette Binoche (meilleur amant qu’acteur, père attentionné mais alcoolique), ils sont tous subordonnés, au service de ces femmes extraordinaires. Ils n’existent que par et pour elles.
    N’est ce pas le lot commun de toute personne ordinaire vivant dans l’entourage immédiat des êtres extraordinaires ? N’est-ce pas le "danger" de vivre dans l’entourage immédiat d’une personne extraordinaire ?

  • Ma réponse à Milu : je suis d’accord, la petite fille est excellente - mais les enfants le sont souvent ; et cela ne fait pas un film, hélas !
    Philippe : oui, bien sûr, La Vérité est un hommage à Deneuve, mais, étant donné son statut extraordinaire, son "mythe", pratiquement tous ses films depuis une vingtaine d’années, le sont. Et dans ce cas, pourquoi en faire une telle caricature, misogyne de surcroit ? Le côté "film sur le cinéma, sur le vedettariat" n’empêche pas que l’on s’intéresse à ce que l’on dit sur ce personnage de star et de femme. Et le fait que les personnages masculins soient si falots ne change rien à l’affaire. Avec de telles actrices et un tel réalisateur, le film est une grosse déception.

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