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Audrey Estrougo / 2016

La taularde


>> Gwenola Ricordeau / mercredi 19 avril 2017


La Taularde, c’est Mathilde Leroy – un rôle qu’interprète Sophie Marceau. Le film raconte les quelques jours qui suivent son arrivée en prison, après son arrestation pour l’aide qu’elle a apportée dans l’évasion de Philippe, son compagnon. Le film, qui se déroule entièrement en détention, relate la découverte par Mathilde de l’univers carcéral, ses rencontres avec d’autres femmes détenues, les visites qu’elle reçoit et surtout son attente anxieuse de nouvelles de Philippe – qui n’arriveront qu’à la fin du film.

Pour qui est un peu familier de l’univers carcéral, La Taularde sonne souvent faux. À l’écran, les personnels de surveillance apparaissent fréquemment à leur avantage, n’oubliant pas d’être polis (les coursives résonnent de leurs « Bonne journée ! » et « Bonne nuit ! »), voire d’une parfaite délicatesse, à l’instar de la surveillante qui demande à Mathilde si elle préfère être appelée « Mathilde ou Madame Leroy » [1]. C’est en fait la prison toute entière qui apparait à son avantage. Mathilde a en effet rapidement accès à ce qui constitue ordinairement des privilèges : les visites de son fils Adrien (Benjamin Siksou), des séances de relaxation et des cours de sport, ou encore le travail en atelier.

L’adhésion à cette piètre restitution de la réalité carcérale est d’autant plus difficile que le scénario est parsemé d’incohérences – à moins de se satisfaire de l’hypothèse d’une Mathilde parfaitement idiote (j’y reviendrai). Par exemple, elle espère que, pendant sa cavale, son mari lui écrive et elle donne à une codétenue, qu’elle vient tout juste de rencontrer, un numéro de téléphone qui lui permettrait d’obtenir de ses nouvelles. Elle aurait été évidemment mieux inspirée de demander à son fils Adrien de passer le précieux appel plutôt que de lui faire apporter clandestinement un téléphone au parloir – cela aurait par ailleurs évité la scène scabreuse d’un Adrien s’étant introduit tout à fait inutilement (au regard de la réalité des dispositifs de sécurité) ledit téléphone dans le rectum.

Malgré tous ses défauts, La Taularde est parfois bien inspiré, notamment lorsque le film rend compte de la réduction de l’identité des prisonnières à leurs délits/crimes et, comme le montre le tabassage par ses codétenues de Marthe Brunet (Anne Le Ny) – qui se prétendait une « terroriste » –, de la manière dont se font et se défont les « amitiés de prison ». Cette sensibilité à la tessiture des relations entre les femmes détenues se révèle dans ce que je considère être la meilleure séquence du film : l’annonce du décès de Jeanne (Pauline Burlet) et la révolte qu’il suscite chez ses codétenues.

La volonté de La Taularde de documenter la vie en détention, voire de la dénoncer, se traduit par une multitude de thèmes traités : le racisme [2], les usages (notamment à des fins de trafic) des psychotropes, la violence, etc. Mais le film montre la prison à travers le parcours de Mathilde, une femme d’âge mûr, blanche et issue de la classe moyenne supérieure (elle est enseignante en lettres), dont le personnage est construit, de manière parfois caricaturale, en opposition aux autres détenues, en particulier celui de Nato Kanté (Eye Haïdara). Celle-ci, une jeune femme noire, violente et peu raffinée, semble être, en prison, « dans son élément », contrairement à une Mathilde douce et éduquée, dont l’enfermement est le « sacrifice » qu’elle a consenti à son compagnon.

Le choix d’une héroïne blanche et de classe moyenne est fréquent dans les films de femmes en prison [3], à l’instar du classique Femmes en cage (John Cromwell, 1950). Or, par leur classe et par leur race, ces héroïnes se distinguent des femmes ordinairement incarcérées, mais surtout l’expérience même qu’elles font de la prison est atypique. Ce choix d’héroïnes blanches et de classe moyenne me semble contestable car il va de pair avec la dénonciation du sort qu’il leur est fait, comme s’il était moins scandaleux pour les femmes pauvres et racisées.
La taularde est plutôt pauvre au regard du genre que constituent les films de prison – malgré la jolie allusion auquel il y est fait à travers le nom du compagnon de Mathilde, Philippe Leroy [4]. Par contre, il emprunte certains codes et figures attendues au sous-genre, assez stéréotypé, des films de femmes en prison. Outre la mise en scène d’un environnement violent (bagarres entre détenues et brimades de surveillantes), le film use de quelques ressorts sexuels : allusions au lesbianisme de Nato Kanté, fouille à nu (qui figure dans la bande annonce) de Mathilde à son arrivée en détention, et une prisonnière qui, malgré le choc carcéral et un compagnon activement recherché par la police, n’oublie pas de se masturber à deux reprises.

L’histoire de Mathilde, tout du moins son choix de sacrifier sa liberté à celle de son conjoint [5], est inspirée de faits réels. Malgré son caractère exceptionnel, elle dit l’ordinaire des femmes incarcérées qui le sont souvent, pour les plus lourdement condamnées, à cause ou pour un homme. C’est aussi l’histoire d’Anita Lopez (Suzanne Clément [6]), avec qui Mathilde partage sa cellule : elle a tué son mari, après des années de violences conjugales – une histoire qui évoque celle de Jacqueline Sauvage, dont la médiatisation ne s’est malheureusement pas accompagnée d’une critique plus générale de l’incarcération des femmes.
La peine des femmes est d’autant plus sévère qu’elles dépendent des hommes sans pouvoir attendre d’eux qu’ils les soutiennent – ce que semble avoir bien compris l’avocate de Mathilde, Nadège Rutter (Julie Gayet), qui lui propose comme toute défense de trahir son mari. Lâchée par Marco, le frère de Philippe, Mathilde se fait en outre sermonner, telle une enfant, par son fils. Et, bien qu’elle revendique la responsabilité des actes qui ont entrainé son incarcération, Mathilde est ramenée, par les surveillantes et ses codétenues, à sa condition de « femme de ».

Mais le dénouement du film est accablant. Philippe est retrouvé mort et Mathilde sert contre elle un paquet de lettres – car, oui, il lui a écrit tous les jours –, tandis que la porte d’une cellule se referme sur elle. La morale de l’histoire est cruelle, puisque Mathilde a perdu à la fois son compagnon et sa liberté. Pourtant elle apparait bien davantage comme la parfaite idiote de cette histoire que comme une victime révoltée. Le sacrifice qu’elle a consenti en aidant son compagnon à s’évader semble la satisfaire, alors que sa situation est pitoyable. La Taularde a néanmoins le mérite de prendre le contrepied de l’androcentrisme ordinaire des films de prison (dans lesquels les hommes s’évadent, aidés par des femmes dont le sort importe peu).

En comparaison d’autres films [7] traitant de l’incarcération des femmes, La Taularde est assez médiocre. La performance de Sophie Marceau est certes remarquable et constitue indéniablement le principal intérêt de La Taularde – comme le suggère son affiche. Elle est malheureusement ternie par les faiblesses du scenario et de la mise en scène.


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[1La règle est, dans les prisons françaises, d’appeler les femmes détenues par leur « nom de jeune fille », or Leroy est le nom de femme mariée de Mathilde.

[2Son traitement est réduit au personnage d’une surveillante se décrivant comme « arabe » et ouvertement raciste à l’encontre des détenues noires et arabes. Ce choix est malencontreux car il réduit la réalité le racisme à une aliénation individuelle, alors que la surreprésentation des personnes racisées en détention est révélateur d’un racisme structurel.

[3À distinguer du sous-genre des « films de prison pour femmes » (ou « women-in prison films »), tels que Femmes en cages (Gerardo de Leon, 1971) ou The Big Bird Cage (Jack Hill, 1972).

[4Nom de l’acteur incarnant Manu Borelli, l’un des évadés ratés du film Le Trou (Jacques Becker, 1960).

[5Le cinéma rend compte du rôle décisif des femmes dans les évasions d’hommes, depuis Joan (Sylvia Sidney) dans J’ai le droit de vivre (Lang, 1937) à Brigitte (Béatrice Dalle) dans La Fille de l’air (Bagdadi, 1992). Pour elle (Fred Cavayé, 2008), qui met en scène un homme faisant évader son épouse, est, outre sa singularité au regard de l’ensemble des films d’évasion, peu représentatif de la réalité genrée des évasions.

[6Notons qu’elle a joué le rôle de Shandy dans la saison 1 de la série québécoise Unité 9 (2012), une des rares séries télévisuelles francophones portant sur des femmes incarcérées.

[7En particulier, dans la dernière décennie, Ombline (Stéphane Cazes, 2012) et Leonera (Pablo Trapero, 2008).