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Desiree Akhavan / 2018

Come as you are


>> Célia Sauvage / mercredi 19 septembre 2018


Les succès critiques de Call Me By Your Name (Luca Guadagnino, 2017) et de Moonlight (Barry Jenkins, 2016) ont très certainement contribué à la mise en production du récent Love Simon (Greg Berlanti, 2018), premier film hollywoodien pour le grand public adolescent avec un personnage gay en tête d’affiche. Les récits d’apprentissage avec de jeunes garçons gays rencontrent du succès ces dernières années au cinéma mais aussi sur les plateformes de streaming comme Netflix (voir par exemple, Alex Strangelove, Craig Johnson, 2018). Les premières romances lesbiennes n’ont pas d’équivalent, malgré le succès critique de La Vie d’Adèle (Abdellatif Kechiche, 2013). Le film a par ailleurs provoqué de vives polémiques à propos du regard masculin hétérosexuel du réalisateur français, jugé comme intrusif et non authentique, notamment par la communauté LGBT. Carol (2015), du réalisateur américain gay, Todd Haynes, n’a pas souffert des mêmes reproches. Mais il explore l’initiation de femmes plus âgées, de surcroit dans le cadre d’un récit non contemporain.

Les films centrés autour de jeunes filles lesbiennes sont donc rares, plus encore lorsqu’ils sont réalisés par des femmes elles-mêmes lesbiennes. Aux États-Unis, ne viennent à l’esprit que trois films, All Over Me (Alex Sichel, 1997), But I’m a Cheerleader (Jamie Babbit, 1999) [1] et Pariah (Dee Rees, 2011). Ces trois films ont eu une réception culte auprès des communautés LGBT et ont été remarqués dans le circuit des festivals américains. Mais tous sont restés cantonnés à une distribution confidentielle qui n’a pas touché le grand public. Come as you are, second film de Desiree Akhavan, réalisatrice irano-américaine bisexuelle, s’inscrit dans ce cinéma de niche [2] et opte pour une sortie aux États-Unis sans classification de la MPAA [3]. Ce choix assumé par la réalisatrice limite grandement la diffusion du film mais lui permet de ne pas censurer son contenu.

Come as you are est l’adaptation d’un roman de « young adult » (The Miseducation of Cameron Post, Emily M. Danforth, 2012). Le soir du bal de promo, Cameron Post (Chloë Moretz) se fait surprendre par son cavalier sur le parking du lycée, en plein ébat sexuel avec sa meilleure amie. Sa tante, en charge de Cameron depuis la mort de ses parents dans un accident de voiture, décide de l’envoyer à God’s Promise, un camp de « reconversion » pour jeunes adolescent·e·s homosexuel·le·s.

Le film s’ouvre sur un cours de catéchisme au cours duquel Cameron et Coley, sa voisine de classe, écoutent avec ironie les sermons contre les péchés adolescents. Dans la scène suivante, les deux filles s’embrassent. Contrairement aux récits adolescents habituels, Cameron est sûre de sa sexualité dès le début du film. Elle n’a pas l’intention de changer d’orientation. Le personnage ne cède jamais à la haine de soi qu’inspire la thérapie de conversion – d’autres participants n’auront pas la même force d’esprit que Cameron. Elle a d’ailleurs plusieurs rapports sexuels au cours du film dont un à God’s Promise. La mise en scène insiste néanmoins sur l’interdit du désir homo-érotique. Celui-ci ne peut s’exprimer que dans des espaces isolés, confinés (des chambres, une voiture) et le plus souvent de nuit. Même si Cameron refuse la thérapie de conversion, elle a intériorisé l’impossibilité d’exprimer ses désirs au grand jour. Les différentes scènes de rêves érotiques de Cameron à God’s Promise en sont une manifestation.

Come as you are propose un portrait de la sexualité féminine, de surcroît lesbienne, loin des images voyeuristes et fantasmatiques destinées à un public masculin et hétérosexuel. Les scènes de sexe ne sont pas spectaculaires, ce qui les rend plus authentiques. La scène de cunnilingus entre Cameron et Erin, qui partage sa chambre à God’s Promise, est représentative du style sobre du film. Le cunnilingus reste un tabou dans le cinéma américain, qui vaut une interdiction systématique à un public de moins de 17 ans – ce qui explique sûrement le refus de classification par la MPAA de la part de la réalisatrice. En pleine nuit, Erin prend l’initiative de réveiller Cameron et commence un cunnilingus. Sans lumière additionnelle, l’acte est à peine visible : Erin est hors champ et la caméra est centrée sur le visage de Cameron pour filmer son plaisir. La scène est courte. La bonne élève du camp a momentanément cédé à un désir impulsif mais elle s’arrête vite. Erin culpabilise, repousse Cameron et lui demande d’oublier sous peine d’aller la dénoncer. L’interdit du désir homo-érotique est montré simplement, sans effet dramatique ou spectaculaire.

God’s Promise n’est pas présenté pour autant comme une prison. Le cadre est idyllique, au cœur de la campagne et des montagnes. Les sorties encadrées sont autorisées, à la librairie du coin ou à des concerts de rock chrétien. Les appels téléphoniques et les courriers sont autorisés en fonction des « progrès » de la thérapie. Cameron et ses meilleur·e·s ami·e·s du camp, Jane Fonda (Sacha Lane) et Adam Red Eagle, trouvent même le moyen de fumer en cachette du cannabis sans être surpris·es. À la fin du film, tous trois arrivent à s’échapper sans alerter le personnel. Les pratiques de répression, de punition ou de menace ne sont pas montrées. Le Docteur Lydia et son frère, le Révérant Rick ne sont pas des figures d’antagonistes manichéens. Leurs sourires et leur bienveillance apparents masquent la violence du processus et l’anxiété qu’éprouvent ces adolescents en « reconstruction ». Ceci rend l’annonce d’automutilation génitale de Mark, l’un des jeunes pensionnaires, particulièrement brutale. Lorsqu’un policier vient interroger les pensionnaires suite à l’incident, il demande à Cameron si elle a été témoin de pratiques illégales ou d’abus. Aucune technique médicale contestable n’est mentionnée (lobotomie, électrochocs, thérapie par aversion [4]). Pourtant la jeune fille répond : « Pour vous, programmez des gens à se haïr n’est pas un abus émotionnel ? »

La thérapie de conversion se présente effectivement comme une re-programmation identitaire des adolescents. Le Docteur Lydia, directrice du camp, se porte garante de la réussite du processus qu’elle a elle-même testé sur son frère, le Révérant Rick, autrefois attiré par les hommes. Selon elle, l’homosexualité n’existe pas ; il s’agit d’une crise identitaire. Le film montre bien la confusion faite par la directrice entre l’orientation sexuelle et les stéréotypes genrés. Lydia persuade les pensionnaires qu’en modifiant leur identité genrée, ils/elles ont toutes les chances de s’adapter à l’hétéro-normativité. Elle interdit par exemple à Cameron d’utiliser le diminutif, Cam, qu’elle affectionne car « Cameron est déjà un prénom masculin. L’abréger en un diminutif encore moins féminin ne fera qu’exacerber ta confusion genrée ». Erin se persuade que sa passion pour l’équipe de football américain des Vikings du Minnesota, qu’elle partage avec son père, est la principale cause de son homosexualité. Le manque de masculinité affirmée de Mark expliquerait l’homophobie de son père qui refuse son retour au domicile familial. Adam, jeune Amérindien, est rappelé plusieurs fois à l’ordre à cause de ses cheveux longs détachés. La directrice finit par les lui couper pour le faire rentrer dans le rang. Certains pensionnaires ont été conduits à God’s Promise pour avoir été surpris en train de se masturber. Plus absurde, le stéréotype du garçon populaire au lycée est suspecté de cacher son homosexualité derrière des blagues homophobes récurrentes.

Cameron, Jane et Adam sont les seuls à ne pas se plier à la « conversion ». Ils s’isolent souvent du groupe. Devant les adultes, ils gardent constamment un faux sourire poli, reprennent les clichés attendus en session de thérapie pour simuler des progrès. Contrairement aux autres adolescents, ils n’ont aucune intention de changer leur orientation sexuelle et refusent de perdre leur personnalité. Jane a été envoyée au camp par sa mère qui veut plaire à son nouveau mari chrétien. Le père d’Adam envoie son fils se cacher à God’s Promise afin de ne pas nuire à sa carrière politique. Adam explique fièrement qu’il est « two-spirits », croyance amérindienne selon laquelle son énergie masculine aurait été remplacée par une énergie féminine. Jane résume avec auto-dérision son ambivalence genrée : « En bref, c’est le David Bowie amérindien ».

Suite à l’automutilation de Mark, les trois ami·e·s décident de s’enfuir de God’s Promise et simulent une sortie en randonnée. Ils partent en autostop vers une destination inconnue. Le dernier plan les montre heureux et silencieux à l’arrière d’une camionnette. La fin n’a rien de spectaculaire. Les conventions scénaristiques voudraient qu’à la fin du récit d’apprentissage, les personnages aient évolué, aient appris une leçon. Pourtant Cameron est identique à celle qu’elle était au début du film. Cette fin est la preuve de l’échec de la thérapie de conversion. Cameron n’a jamais remis en question son identité, ni son orientation sexuelle. Elle ne tire aucune leçon de sa thérapie et s’échappe sans but ou destination connue. Le film ne montre pas plus de progrès ou de réussite chez les autres personnages. Leur futur est cependant plus sombre que celui de Cameron, Janet et Adam. Mark se mutile car il comprend qu’il ne changera jamais aux yeux de son père et ne pourra jamais rentrer chez lui. Erin joue la bonne élève mais cède à ses désirs la nuit.

Le film se déroule en 1993, dans l’Amérique rurale et chrétienne. Mais il met en lumière un problème tabou qui perdure – 36 États autorisent encore la « thérapie de conversion » aux États-Unis, encouragés par le vice-président, Mike Pence. Au cours d’une session de groupe, une des jeunes pensionnaires dit à Cameron qui refuse de prendre part au tour de parole : « Ton silence est agressif. Il en dit long. » La réception discrète de Come as you are en dit également long aussi sur le climat de silence médiatique autour des camps de reconversion et l’impossible discussion sur la violence des thérapies.


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[1Le récit de But I’m a Cheerleader est similaire à celui de Come as you are : une jeune pom-pom girl lesbienne est envoyée par ses proches dans un camp de reconversion. Le ton du film de Jamie Babbit est cependant plus proche de la satire alors que celui du film de Desiree Akhavan n’a rien d’une comédie.

[2Son premier film, Appropriate Behavior (2014), récit de rupture d’une jeune femme bisexuelle, interprétée par la réalisatrice elle-même, reste inédit en France.

[3La Motion Picture Association of America délivre une classification des films américains afin de déterminer le public visé. Elle propose des coupes ou des modifications de contenu pour calibrer les films selon ses classifications. Un film peut sortir sans référencement de la MPAA, mais la majorité des cinémas refusent de diffuser des films non référencés.

[4La thérapie par aversion consiste à associer un stimulus à des sensations désagréables (le plus souvent douleur ou nausée) afin de conditionner les goûts et le comportement d’un patient. Ce traitement psychiatrique fut très utilisé à l’égard des homosexuels. Par exemple, on présente une photo avec un contenu homosexuel et simultanément le patient reçoit un choc électrique ou sent l’odeur de l’ammoniaque. À force de répétitions, le patient associe le contenu homosexuel à la douleur ou à la nausée.