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Marie-Sophie Chambon

100 kilos d’étoiles


>> Sarah Lécossais / mardi 30 juillet 2019


A l’heure où la NASA annule l’expédition d’une femme astronaute en raison d’un manque de combinaison ad hoc, le pari est audacieux. Mais Loïs n’a pas pour seule particularité d’avoir choisi une voie scientifique où les femmes sont rares, elle a aussi un physique qui défie les normes de beauté contemporaine. Les 100 kilos d’étoiles, ce sont d’abord ceux de son corps. Au moment du choix de son orientation, et alors qu’elle prépare un concours au CNES (Centre National d’Études Spatiales), on (entendez deux hommes) lui explique que pour faire ce métier, il faut un physique particulier, c’est-à-dire celui d’une sportive – comprenez qu’une jeune femme « grosse » ne peut y arriver. Bien décidée à poursuivre son rêve, ses étoiles dans les yeux, elle décide de ne plus s’alimenter. Or arrêter de manger ne lui permettra jamais de maigrir et c’est dans un centre fermé pour adolescent-e-s qu’elle va l’apprendre.

Commence dès lors une autre histoire : celle de la rencontre entre quatre adolescentes toutes confrontées à des difficultés d’acceptation de leur corps. Se forme alors un improbable quatuor aussi drôle qu’émouvant, entre Loïs, Amélie, qui est anorexique, « Stannah », paraplégique, et Justine, « électro-sensible » (vouant une peur panique au wifi et autres ondes qu’elle considère responsables de la mort de son petit frère d’un cancer). Leur épopée qui prend des airs de road movie sur les routes de France, mènera les quatre adolescentes en souffrance jusqu’au concours du CNES, à Toulouse, seule équipe féminine cherchant à gagner un vol en zéro G ?? en fabriquant une sonde à envoyer dans les airs.

Toute la force du film réside, il me semble, dans cette manière très fine et poétique de penser la corporéité : qu’il cherche à se protéger des ondes, à gagner du poids ou à en perdre, à se mouvoir librement, chacun de ces corps cherche à échapper à sa matérialité, à s’oublier. Le film est parsemé de séquences, ingénieuses dans la réalisation – dont on sent que les moyens sont très modestes –, durant lesquelles nos héroïnes oublient leurs corps, mimant des pas dans l’espace ou s’envolant, légères, délestées de leurs soucis, dans les airs.

On passe du rire aux larmes dans ce film aux personnages sensibles, touchants, particulièrement drôles malgré la gravité des sujets traités. Nombreuses sont les scènes vraiment comiques. Nombreuses aussi celles où l’émotion pointe et rappelle le public à la réalité : celle de la violence des rapports sociaux de genre, des discriminations, du regard des autres et des difficultés de l’adolescence.

Les thématiques abordées en font un film féministe : les diktats de beauté, l’acceptation de son corps quand on est une femme et qu’on est perçue comme telle dans la société, la difficile féminisation des métiers scientifiques, les troubles de l’alimentation, la place des corps hors normes (qu’ils soient trop maigres, trop lourds ou qu’ils ne fonctionnent pas comme les autres), le regard des autres et l’amour de soi.

Loïs est la seule que l’on voit évoluer chez elle, dans sa chambre et dans la cuisine où mange la famille rassemblée. Ces quelques séquences visent surtout à montrer l’environnement familial de Loïs, son milieu, qui semble de classe moyenne, voire populaire, et son patrimoine génétique : un père au physique sec (incarné par Philippe Rebbot) et une mère tout son contraire, en formes généreuses (Isabelle de Hertogh), et ses deux sœurs, ressemblant elles aussi à la mère. Or, la haine de soi que ressent Loïs se reporte sur sa mère qu’elle qualifie d’obèse. Le père, lui aussi, blâme son épouse, lui reprochant de transmettre ses complexes à ses filles : comment les aider à aimer leur corps si elle-même ne l’accepte pas ? Le fait d’accabler ainsi ce beau personnage de Jocelyne met un voile un peu sombre sur ce film qui parvenait, justement, à ne pas rendre les mères responsables, donc coupables, et à ne pas tout rabattre sur l’hétérosexualité normative… Les hommes, s’ils ne sont pas absents de ce film, y sont présents de manière ponctuelle. Les conversations des personnages féminins ne tournent pas autour des garçons, de l’amour ou de la sexualité. Elles ont bien d’autres choses à se dire et ce film passe le test de Bechdel haut la main – signalons au passage que les personnages sont tous blancs et que la diversité ethnique n’a pas sa place ici malheureusement. Ce sont les seuls bémols d’un film qui propose des personnages forts, bien construits, émouvants et franchement drôles.

Sans jamais être moralisateur, 100 kilos d’étoiles invite donc à penser la grossophobie autant que la construction des féminités dans le rapport à la matérialité des corps. On recommande donc chaudement ce joli film, avec l’envie de suivre ses créatrices, et de voir, encore, des œuvres qui participent à interroger les normes de genre plus qu’à les reconduire.

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